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ce livre pourrait éclairer tout un côté de la science de l’homme. Alexandrie est, dans l’histoire, la première école mystique. Plotin et ses successeurs ont étudié tous les phénomènes si compliqués, si délicats, si fugitifs, de l’extase, et cette analyse, souvent obscure, mais quelquefois lumineuse, a devancé sur beaucoup de points la profonde psychologie mystique du catholicisme, qui donne une si grande importance aux livres ascétiques du moyen-âge. Le mysticisme, je le sais, est le plus souvent un ennemi de la philosophie, ennemi d’autant plus dangereux qu’il s’appuie sur de plus nobles sentimens, et redoutable surtout en ce qu’il est l’écueil des ames tendres et passionnées. À quelle loi de la nature humaine, à quel dessein caché de la Providence, répondent ces aspirations ferventes, ces désirs inquiets, cet élan, ce soupir de l’homme vers Dieu ? Y a-t-il véritablement dans l’extase une force d’intuition refusée à la raison elle-même ? L’excès de l’amour est-il une surabondance de grace, ou faut-il mettre le devoir au-dessus de l’amour de Dieu, et soumettre l’illumination mystique au contrôle de la raison ? Alternative pleine d’incertitude, redoutable et mystérieuse question que l’humanité porte partout avec soi, comme son tourment et comme sa gloire, et dont la philosophie seule peut aujourd’hui lui donner la solution.


Jules Simon.