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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

A l’illustrissimo signore Marc Antonio ai bagni di Civita-Vecchia, telle était la suscription des lettres de Maria Grazzia, fille, sœur et femme de brigands, à Marc-Antoine, son époux, galérien au bagne de Civita-Vecchia. Marc-Antoine le brigand n’était pas illustrissime seulement pour Maria Grazzia, sa femme, mais encore pour ses amis, et, de proche en proche, pour toute une classe de la population.

Cette sorte de renom et de popularité attachés au titre de brigand contribue peut-être plus à perpétuer le brigandage en Italie que les profits du métier. La perpétuité de ce fléau tient à beaucoup d’autres causes encore ; nous nous contenterons d’indiquer ici les principales, à savoir le peu d’horreur du peuple pour le meurtre, la mauvaise interprétation de certaines doctrines religieuses, enfin l’absence de répression raisonnable et efficace de la part du gouvernement.

Ce peu d’horreur des gens du peuple pour le meurtre est à la fois un vice originel et un vice acquis. Il tient d’abord à cette aveugle violence du sang qui les pousse à satisfaire leurs passions plutôt que d’employer leur énergie à les contenir : ils aiment mieux tuer un homme que réprimer un accès de colère ; ce vice tient ensuite à un travers d’esprit du peuple qui fait qu’auprès de lui l’homme tué a toujours tort. Pourquoi a-t-il provoqué, pourquoi a-t-il injurié ? Il savait ce qu’il faisait, et n’avait qu’à se bien tenir. Le tueur, en revanche, est toujours considéré comme un homme de cœur, ou tout au moins comme un homme que le gouvernement va persécuter et qu’il faut plaindre. Poverino ha amazzato un uomo ! disent les Trasteverins en pareille occasion. Cette approbation donnée au meurtre et cette pitié qui s’attache à l’assassin, proviennent enfin d’une sorte de point d’honneur mal entendu. En exagérant la doctrine du point d’honneur, en substituant au duel une sorte de guerre d’individu à individu, de famille à famille, guerre qui ne devait se terminer que par l’extermination d’une des deux races en présence, et devant laquelle tous les moyens de nuire à l’ennemi étaient permis, le poison comme le poignard, les Espagnols firent considérer l’assassinat comme une chose toute naturelle. Cette doctrine, qui ne prévalut d’abord que dans les hautes classes de la société italienne, se répandit bientôt dans tous les rangs. Le peuple, que d’ailleurs le tempérament y portait, se fit le copiste des grands seigneurs, et assassina sans plus de façon qu’eux. Ceux-ci, avec le temps, sont revenus à des mœurs plus douces ; le peuple a gardé ces féroces habitudes.

On a dit que l’assassinat était le duel des pauvres gens ; l’expression n’est pas tout-à-fait exacte. L’homme qui dans une querelle tue