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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

laissés dans l’ombre, et qui se trouvent tout à coup inondés des plus vives lumières ! L’antiquité n’a pas de génie plus vigoureux que Plotin, et on peut citer tel livre des Ennéades dont la critique moderne ne retrancherait pas un seul mot. Ne serait-ce pas un abondant sujet d’études, que de comparer la doctrine des Ennéades à celle du concile de Nicée ? Les ressemblances abondent ; à quelle cause les attribuer ? Y a-t-il eu des emprunts mutuels ? Les deux écoles ont-elles puisé dans une source commune, ou bien encore sont-elles arrivées par des chemins divers à des conclusions identiques ? Porphyre, Iamblique, Syrien, Proclus, venus après Plotin, construisent d’autres systèmes et donnent lieu à des rapprochemens nouveaux. En voici un que je signalerai, parce qu’il est propre à faire ressortir les contradictions et le défaut d’unité des théories alexandrines ; le caractère propre des doctrines païennes, c’est, comme personne ne l’ignore, d’une part le polythéisme, et de l’autre l’éternité, ou plutôt la nécessité de la matière. Or, l’école d’Alexandrie soutient l’unité de Dieu et la production de la matière, tantôt par voie de procession, tantôt par voie d’émanation. Peu importent les détails des systèmes ; mais, ce que chacun peut remarquer ici, c’est que voilà une école qui combat pour le polythéisme et le paganisme, et qui au fond n’est plus païenne. Elle conserve les dieux à la vérité ; mais, pour les soumettre au grand Dieu, qui est l’artisan et le père du monde, pour en faire les forces personnifiées de la nature, ou des anges et des archanges intermédiaires entre les dieux et les hommes. N’est-il pas évident qu’à force de tout admettre, elle perd l’intelligence du rôle qu’elle a voulu soutenir, et jusqu’à la conscience d’elle-même ?

Ce qui a fait la grandeur de l’école d’Alexandrie, c’est l’abondance des idées, le luxe de poésie et de sentimens qui déborde dans tous les ouvrages qu’elle a produits ; ce qui a déterminé sa chute, c’est l’ascendant supérieur d’une religion à laquelle l’avenir appartenait, et l’extravagance où ont été conduits les alexandrins par l’abus de leur méthode. Cette folie qui s’était emparée des esprits au premier et au second siècle, et qui faisait surgir de tous côtés des prophètes et des miracles, se montre de nouveau vers la fin du cinquième ; mais cette fois, c’est dans l’école même que la théurgie tend à se substituer au mysticisme. Au reste, dans les derniers siècles, la ruine de l’école est imminente, et c’est à peine si le zèle de Syrien et le génie de Proclus rendent à la philosophie un éclat passager.

On avait trop mis à nu les plaies du polythéisme ; Alexandrie périssait par son principe. Déjà, sous le règne de Constantin, le peuple