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Platon comme une reconnaissance expresse de l’extase et des conceptions supérieures à la raison que l’extase produit, ils n’en sont pas moins, aux yeux de l’histoire, la première grande école mystique qui se soit produite en philosophie, et ce côté de leurs doctrines est même ce qui permet d’y découvrir les élémens d’une philosophie commune, au milieu de toutes ces opinions qui se heurtent et se contredisent, sans règle, frein ni mesure.

Une dialectique qui s’égare et se perd dans des subtilités, un éclectisme qui finit par n’être plus qu’une indulgence universelle et l’incapacité absolue de rien exclure, un mysticisme qui aboutit souvent à l’extravagance, tout cela fait que l’école d’Alexandrie ne pouvait naître et se soutenir qu’au moment où nous la rencontrons dans l’histoire, et qu’elle n’a pu vivre pendant cinq siècles qu’en se rattachant à tous les vieux souvenirs, et en appelant à elle tous ceux qui, par leur éducation, leurs principes et leur caractère, adhéraient fortement aux vieilles croyances et aux vieilles mœurs, et avaient en horreur toute innovation. M. Matter ne voit d’autre cause à la ruine de cette école que la décadence de la ville d’Alexandrie et le triomphe du christianisme par la protection de Constantin et de Théodose. Cela tient à son système général, sur lequel il est fort inutile de revenir ; mais s’il avait compté les idées pour quelque chose, s’il s’était demandé quel est l’avenir d’une doctrine mystique qui s’appuie sur une théologie empruntée à toutes les théologies humaines, et, si on l’ose dire, encombrée de dieux ; s’il avait comparé cette philosophie qui ne repose sur rien et qui renferme tant d’élémens étranges et disparates à cette autre doctrine si simple, si complète, si bien unie, appuyée uniquement sur le principe de l’autorité, et n’hésitant pas à le reconnaître ; si M. Matter avait pu peser tout cela, il est permis de penser que l’histoire de l’école d’Alexandrie serait devenue entre ses mains quelque chose de moins inanimé, qu’on aurait entrevu du moins qu’il y avait là de grandes questions, une grande lutte, et qu’il serait sorti de ses recherches quelque lumière sur cette religion dont le triomphe presque universel est, après tout, le plus grand fait de l’histoire.

Ce serait au surplus commettre une erreur capitale que de ne voir autre chose, dans l’école d’Alexandrie, qu’une sorte de syncrétisme aveugle. Il y a bien du fumier dans cette scholastique alexandrine, mais il y de l’or en abondance. La nature et les attributs de Dieu, son action sur le monde, la nécessité, le mal moral, l’extase, l’expiation, la prière, que de problèmes philosophiques ignorés jusqu’alors ou