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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

tipliant les distinctions ; l’excès de l’éclectisme consiste à admettre simultanément deux doctrines contradictoires. À parler proprement, ce n’est là ni de l’éclectisme, ni de la dialectique ; c’est une situation non philosophique, à laquelle on parvient en poussant à la dernière extrémité, contre toute raison, deux méthodes philosophiques. On conçoit du moins que cette dialectique sans frein donne place à cet éclectisme, qui n’est plus alors de l’éclectisme, et qui devient une confusion universelle ; car si la dialectique épuise toutes les conceptions possibles de l’esprit humain, et les dispose dans un certain ordre, on peut rattacher tous les systèmes à quelque échelon de cette échelle immense. L’histoire de la philosophie y est à l’aise tout entière. Voici, par exemple, quels sont, chez la plupart des dialecticiens, les trois derniers termes généraux auxquels arrive la pensée, ce sont l’unité, l’intelligence et la force intelligente dans cet ordre. Or, les éléates ramènent tout à l’unité absolue sans intelligence ni puissance ; Aristote, à un être intelligent qui ne connaît que lui-même et n’agit sur rien en dehors de lui ; Platon, à une force intelligente. Ces trois dieux réunis n’en forment plus qu’un dans la philosophie de Plotin, et c’est à la fois un seul dieu et un dieu triple. L’unité placée au sommet de l’échelle est aussi la première personne, ou, comme parlent les alexandrins, la première hypostase de la trinité divine ; l’intelligence tient le second rang, et la puissance le troisième. Le polythéisme de la Grèce, de l’Orient, de l’Égypte, les grands et les petits dieux, les démons, les génies, se distribuent suivant le degré de leur importance dans les échelons intermédiaires. Le monde des alexandrins, tel que la dialectique le leur donne, ne contient pas de vide, et forme un plein continu depuis l’alpha jusqu’à l’oméga ; et dans ces espaces sans fin, ils jettent à profusion une myriade de divinités empruntées à tous les peuples et à tous les cultes.

On peut dire en un certain sens qu’il n’y a d’original chez les alexandrins que le parti pris de n’avoir point d’originalité. Cependant le caractère mystique de leur philosophie leur appartient en propre, et c’est assurément la première fois que l’extase est expliquée psychologiquement, et placée par une école philosophique au-dessus même de la raison. Il y a bien quelques traces obscures d’une opinion analogue dans Empédocle, et les alexandrins n’ont pas manqué de les faire ressortir, en les exagérant, suivant leur coutume ; mais enfin quoiqu’ils aient pu emprunter des théories mystiques aux illuminés du Ier et du IIe siècle de notre ère, quoiqu’ils aient considéré certains passages du Phèdre, du Parménide, et de la République de