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tel ou tel degré d’imagination dont on pourrait être doué, mais la plus générale pour tout esprit humain, quel qu’il soit, telle enfin qu’étant absolument et parfaitement simple, elle ne puisse être divisée et rapportée à une classe plus générale même par l’imagination la plus exercée et l’esprit le plus subtil. Cette idée suprême, qui arrête la dialectique et l’empêche de se perdre dans l’infini, c’est l’unité. Mais entre l’unité absolue et le monde des sens, l’imagination a beau jeu pour se développer, et il arrive, chose bizarre, que la même méthode qui procède par distinctions, et qui en vit, pour ainsi dire, à force de distinguer avec subtilité, finit par combler presque entièrement les intervalles ; et à placer, par exemple entre deux distinctions données, tant de distinctions intermédiaires, que les différences tombent enfin dans l’infiniment petit, et qu’on arrive ainsi, par l’excès même de la distinction, à la confusion absolue. Platon ne s’était pas perdu dans cet abîme, préservé qu’il était par les leçons de Socrate, par l’excellence de son esprit, et aussi par le caractère du génie grec, si plein de mesure et de retenue, et qui a horreur de tous les excès. Mais les alexandrins qui s’emparent de cette arme dangereuse de la dialectique à une époque de civilisation très raffinée, dans un temps où les peuples, réunis violemment pour former une seule nation, perdent leur caractère, leurs traditions, leur croyance exclusive, et sont disposés à admettre tout ce qui est nouveau, étrange, bizarre, comme dans une sorte d’ivresse, les alexandrins ne savent pas se retenir ; et il résulte de là que quand on se donne le spectacle de leur doctrine, on les voit osciller entre l’unité absolue et la confusion absolue, comme entre deux pôles opposés qui les attirent tour à tour, parce qu’ils ne voient pas, et ne peuvent pas voir au point de vue où ils sont placés, que ce sont là deux termes opposés, et même contradictoires. Il y a donc à la fois chez eux, par suite de cette dialectique poussée à l’excès, une tendance à tout diviser et une tendance à tout rapprocher. Rien n’est plus contraire évidemment qu’un pareil état à la philosophie et au sens commun ; mais en même temps rien n’est plus commode pour une école placée sans cesse en présence d’habiles adversaires, et qui veut prouver par toutes les voies qu’elle possède à elle seule toute la sagesse, et qu’il ne peut y avoir en dehors d’elle que des parties d’elle-même.

La dialectique particulière aux alexandrins une fois bien comprise, il n’y a rien de plus facile à saisir que leur éclectisme. Ils poussent l’éclectisme à l’excès comme la dialectique ; l’excès de la dialectique consiste à anéantir la possibilité des distinctions précisément en mul-