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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

Si j’ai réussi, dans ce qui précède, à montrer de quelle façon les cinq premiers siècles de la domination grecque en Égypte, depuis Alexandre jusqu’à Vespasien, préparent et amènent l’école philosophique dans laquelle tout ce mouvement littéraire vient s’absorber, et qui de Plotin, vers le IIe siècle de notre ère, s’étend jusqu’à Isidore et Damascius dans le VIe, on comprend facilement quels sont les trois caractères principaux qui distinguent les philosophes alexandrins. Mystiques par l’influence de l’Orient et de l’Égypte, et parce qu’ils combattent une religion au nom d’une autre ; dialecticiens parce qu’ils voient Pythagore dans Platon, et dans Pythagore tout l’Orient, et que la méthode dialectique, qu’ils empruntent à Platon en la faussant, ou du moins en l’exagérant, convient à la fois aux exigences de leur position et à la nature de leur esprit ; éclectiques enfin, parce qu’ils vivent sur une terre devenue la terre classique de l’érudition. Le caractère de leur méthode est avant tout dialectique, et, si j’ose le dire, contre l’opinion presque universelle, le mysticisme et l’éclectisme ne sont chez eux qu’accessoires. Pour peu qu’on y réfléchisse, quelle est la tendance de la dialectique poussée à l’extrême ? La dialectique consiste à diviser et à rapprocher ; considérée uniquement dans sa forme extérieure, c’est une méthode de généralisation ; elle diffère de la généralisation purement logique en ce que les idées générales qu’elle découvre sont conçues par elle comme des réalités indépendantes des individus, comme des types existant réellement dans la nature des choses, et même plus réellement que tout le reste, car le reste n’existe que par eux. Cette méthode a le défaut d’attribuer à l’esprit trop de puissance, et de le laisser s’égarer trop loin des faits et de l’expérience. Il est évident en effet que l’esprit crée un nouvel être en créant un nouveau terme général, et que plus un philosophe aura de subtilité et d’imagination, plus il multipliera les réalités ou ce qu’il croit être des réalités. En appliquant ce procédé, qu’il ne s’agit pas ici de juger, puisqu’il appartient à Platon et non aux alexandrins, on crée une sorte d’échelle où tous les êtres dont le monde se compose occupent un ordre hiérarchique, suivant qu’ils sont plus ou moins généraux, c’est-à-dire, dans le point de vue des dialecticiens, plus ou moins réels. Or cette échelle, de quelque côté qu’on la considère, en montant ou en descendant, ne peut s’étendre jusqu’à l’infini ; car elle a son point de départ dans le monde des sens, et, d’un autre côté, il y a une idée dans l’esprit humain, au-delà de laquelle il lui est impossible de rien imaginer, une idée qui est de toutes la plus générale, et non pas la plus générale pour