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ont plusieurs, et des systèmes qui se contredisent. C’est, je l’avoue, une longue et pénible étude, de prendre un à un et de dépouiller tous ces commentaires, écrits pour la plupart dans un fort mauvais grec, et dont quelques-uns, à l’heure qu’il est, ne sont pas même édités ; mais enfin, puisqu’ils existent, il n’est pas permis à un historien de l’école d’Alexandrie de les négliger. C’est dans leurs propres ouvrages qu’il faut étudier les alexandrins, et non pas dans Strabon, où M. Matter les a vus. Resserrer dans un dernier volume l’exposition des doctrines, et consacrer le premier à des catalogues, à des descriptions et à des plans, c’est se tromper sur le but même et le sens de la tâche qu’on s’est donnée ; c’est entendre l’histoire de la philosophie en architecte.

Quand on pénètre pour la première fois dans cette littérature à la suite, qui ne présente jamais un livre qu’à titre de commentaire, il est naturel de se figurer qu’on va tourner constamment dans le même cercle et commenter sans fin le même texte. M. Matter n’a pas réfléchi que ce sont ici des commentateurs d’une espèce toute particulière, qui ne s’attachent pas à un livre, comme les faiseurs de notes et d’illustrations, pour le développer et le délayer dans des périphrases, mais pour fournir un argument nouveau à leur thèse favorite, que les ouvrages de Platon contiennent toutes les philosophies et toute la philosophie. Avec une prétention pareille, on ne saurait analyser le moindre dialogue de Platon sans y mettre un système complet ; aussi, la plupart du temps, les commentaires des alexandrins sont une reproduction fidèle de la situation de leur intelligence au moment où ils écrivent ; aucune suite, aucun ordre dans les idées ; des digressions perpétuelles : c’est la pensée comme elle vient et à mesure qu’elle se présente. Si la lecture de la veille, la discussion, le besoin du moment, un ouvrage qu’un adversaire vient de faire paraître, ont imprimé à leur esprit une direction nouvelle, aussitôt ils introduisent dans leur système un élément nouveau, qu’ils empruntent aux mages, aux Éthiopiens, aux Juifs, à quiconque possède une idée qui puisse combler une lacune ou parer à une objection.

Au milieu de ce pêle-mêle d’explications philologiques et de systèmes, d’analogies puériles et de grandes pensées, ce n’est pas la moindre difficulté de l’histoire que de rattacher à une méthode commune ces éternelles divagations. Le lien existe cependant, et dans le silence complet de tous les historiens, et même du plus récent, j’essaierai de dire en peu de mots comment je conçois qu’on pourrait le retrouver.