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sont en majorité dans trois bataillons seulement ; les autres sont modérés. N’importe : tous ont pris part au mouvement ; la garde nationale en Espagne ne comprime pas l’émeute, elle la fait elle-même pour en être maîtresse ; c’est un autre moyen d’aborder la difficulté. Elle a tort, sans doute, mais ce peuple est ainsi fait. On peut être sûr qu’une révolution qui a de pareils instrumens n’ira pas loin. Quand ce sont des bourgeois qui font le tapage, il n’est pas bien grave. Avec de telles habitudes, on n’a pas d’ordre durable, mais le désordre n’est pas sérieux.

On voit que le pronunciamento qui vient d’avoir lieu, est loin d’être aussi significatif qu’il en a l’air. Quant à son étendue, elle a été aussi exagérée ; il a été comprimé à Murcie, Séville, Cordoue, Valladolid ; dans la moitié de l’Espagne, il n’a pas même été tenté ; il n’embrasse réellement jusqu’ici que Madrid, Barcelone, Sarragosse, Cadix et les petites villes qui dépendent de ces capitales progressistes. S’étendra-t-il encore ? c’est ce qui est probable, car l’intérêt des corps municipaux est le même partout ; mais c’est déjà un fait important qu’il n’ait pas partout réussi, qu’il n’ait pas été partout essayé. Sans la défection d’une partie de l’armée, ce ne serait rien, et ceci nous ramène au véritable mal, au danger réel de la situation, qui n’est ni dans les sociétés ni dans les municipalités, mais dans l’armée.

Le duc de la Victoire portera dans l’histoire une des plus grandes responsabilités qui ait jamais pesé sur la tête d’un homme. Il ne faut pas se lasser de le dire : s’il s’était entendu à Barcelone avec la reine régente, la question intérieure était résolue ; l’Espagne avait un gouvernement. La reine Christine a tout fait pour satisfaire son ambition ; elle l’a comblé de titres et d’honneurs, elle est venue le trouver à son quartier-général avec sa fille, elle s’est confiée à lui sans défense, malgré les représentations de tous ses conseillers, et il a indignement répondu à toutes ces prévenances. Cette femme qui venait si généreusement se mettre entre ses mains, pourquoi l’a-t-il laissé insulter par le premier venu ? cette reine qui venait lui demander de protéger son trône et la constitution de son pays, pourquoi a-t-il voulu la forcer à avilir sa couronne par un outrage public aux deux chambres et une violation manifeste de la loi ?

C’est la prétention inconstitutionnelle d’Espartero qui est la difficulté unique. Si cette prétention n’existait pas, si le héros de Bergara et de Morella avait consenti à être le premier sujet de la couronne et de la constitution, tout était dit ; ce pays, que la guerre civile paraît sur le point d’embraser, serait maintenant dans la paix