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D’UN LIVRE SUR LA SITUATION ACTUELLE.

n’avait présidé à son entreprise. » — Et que serait la guerre en 1840 ? Aurait-elle un autre caractère ? Supposant même que les peuples restassent passifs, et se fissent une loi de n’entraver en rien les projets des trônes et des cabinets, quel but atteindrait-on ? La guerre, si elle a lieu, la guerre sera l’effet répété de ces causes nées, comme jadis, de l’imprévoyance des gouvernemens, des embarras intérieurs auxquels ils ne savaient comment porter remède ; incurie, ignorance, irréflexion, qui, il faut bien le dire, se manifestent hautement à l’égard de la question d’Orient dans les deux cabinets de qui l’Europe a reçu l’impulsion fatale qu’elle éprouve en ce moment.

Qu’on vienne maintenant nous dire que les dispositions hostiles des cabinets tiennent à l’avénement et à l’existence de tel ou tel ministère ! Le mouvement hostile actuel éclate des choses elles-mêmes, aucun ministère ne l’a provoqué ; il vient de l’Angleterre, de ses inquiétudes commerciales, de son peu de confiance dans sa situation intérieure. Or, il n’est pas de ministère français, à quelque parti qu’il appartînt, qui voulût, je le suppose du moins, apaiser ces inquiétudes en abandonnant les intérêts les plus impérieux de la France.

Là gît surtout le principe de la discorde, et il ne reste au gouvernement, à qui se trouve confié le soin de ces intérêts, qu’à se préparer à les soutenir. S’il peut éviter honorablement de les défendre par les armes, il n’aura pas dévié de son devoir, car la France n’a pas encore été mise dans la nécessité absolue d’y recourir. Elle n’a pu faire dominer son opinion dans les conseils européens, mais ce n’est pas là subir une insulte. Elle se trouve exclue de la participation d’un traité qui touche des questions dont la solution ne peut, ne doit avoir lieu sans elle ; qu’elle proteste, et, si les choses vont plus loin, qu’elle agisse. Nous serons les premiers à le demander, et à proclamer cette vérité politique que Napoléon, alors chef d’un peuple libre, dictait, il y a quarante ans, à M. d’Hauterive : « Tout peuple qui tolère une injure, mérite de plus grands reproches que celui même qui serait coupable d’une injuste agression. »

La situation du gouvernement est au moins singulière. On l’accuse de réprimer l’émeute au moment où il devrait, dit-on, s’occuper uniquement des grandes affaires qu’il a dans nos ports et à nos frontières, comme si l’ordre intérieur n’était pas la première condition de la force. On l’accuse en même temps d’inertie, parce qu’il assiste au drame qui commence seulement, en spectateur actif et intéressé à en prévoir la marche, tout en s’occupant d’augmenter nos forces de terre, de doubler le nombre de nos vaisseaux, de fondre des canons,