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D’UN LIVRE SUR LA SITUATION ACTUELLE.

lations des autres puissances, celles-ci se trouvent embarrassées de leur propre marche et voudraient revenir en arrière. Nous verrons bientôt s’il en est encore temps. Remarquons seulement qu’en 1813 l’Europe a fait la guerre à notre politique ambitieuse, et qu’aujourd’hui elle la fera, si elle s’y décide, à notre modération.

Je reviens au livre de M. d’Hauterive. Il fait ressortir trois évènemens qui lui semblent propres à jeter le plus grand jour sur l’affaissement général du système politique de l’Europe à l’époque où il se place : la formation d’un nouvel empire au nord de l’Europe, l’élévation de la Prusse au rang des grandes puissances, et l’accroissement général du système maritime et commercial des nations.

Pour la Russie, M. d’Hauterive fait d’abord remarquer que tous les degrés de l’ascendant qu’elle a su prendre en Europe ont été successivement marqués par des atteintes plus ou moins graves portées à la sûreté ou à la puissance d’une grande partie des états qui la composent. Ce n’est que pour indiquer la position que la France aurait pu prendre, seulement depuis dix ans, par l’effet même de cette marche toujours plus marquée de la Russie, que je suivrai M. d’Hauterive dans les développemens qu’il donne à sa pensée.

La Turquie s’est laissé enlever tout, on peut dire, par l’empire russe : la Tartarie, la Crimée, les forteresses de ses provinces méridionales, le domaine maritime de la mer Noire, le commerce de la Perse, la suprématie dans les principautés, et puissions-nous ne pas ajouter bientôt, elle s’est laissé enlever tout, même Constantinople. Pendant ce temps, la Turquie abandonnait la Pologne, la Suède, la France elle-même, qui réclamaient une diversion. D’un autre côté, la Pologne se laissait vaincre, la Suède se voyait enlever la Finlande, une partie de la Poméranie ; la Livonie, la Courlande, l’Ingrie, augmentaient le territoire déjà si grand de l’empire. Et qu’a fait la France ? Toujours généreuse et désintéressée dans sa conduite, au lieu d’imiter cette politique qui consiste à anéantir les états voisins et de moindre importance, elle a favorisé, dans ces derniers temps, l’établissement du royaume de Grèce, le développement de la vie politique et de l’indépendance en Espagne, appuyé toutes les nationalités souffrantes autant que le permettaient les traités qui la liaient, traités de bonne foi et d’honneur que nous étions destinés à voir enfreindre par les cabinets que ces traités avaient le plus favorisés. Une seule fois la France, obéissant au sentiment de sa sûreté territoriale, a été politique en favorisant la séparation de la Belgique et de la Hollande. Encore, obéissant, comme malgré elle, à ses