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MÉHÉMET ALI.

Je voudrais expliquer en passant pourquoi M. Clot-Bey est favorable à la race arabe ; cette explication, d’ailleurs, ne m’écartera pas beaucoup du sujet que je traite en ce moment.

M. Clot-Bey est directeur-général du service médical en Égypte. Il a fondé l’enseignement de la médecine dans ce pays ; il a eu des Arabes pour élèves, et, comme tous les hommes qui ont été chargés d’enseigner quelque chose aux Arabes, il a été frappé de leur facilité à apprendre. Quelques observateurs attentifs ont pensé que la race arabe avait surtout cette faculté d’imitation qui caractérise aussi les Slaves, mais qu’elle n’avait pas cette intelligence ferme et forte qui s’approprie la science et qui la féconde par son travail. La mémoire chez les Arabes agit plus que le jugement : ils apprennent vite et oublient de même. Cette facilité à apprendre doit naturellement séduire les hommes qui sont chargés de les instruire, surtout si ces hommes sont des étrangers qui passent quelques années dans le pays et s’éloignent ensuite sans savoir si l’effet de leurs leçons est efficace et durable. Si cette observation sur les facultés imitatrices de la race arabe est juste, il est curieux de voir comment l’Europe a, pour ainsi dire, à ses deux pôles, au nord et au midi, deux races, l’une, la race slave, et l’autre, la race arabe, destinées par la nature même de leur esprit à recueillir l’héritage de la civilisation européenne sans l’augmenter, et à s’approprier de cette civilisation tout ce qu’elle a de mécanique et d’extérieur, c’est-à-dire ses sciences et son luxe peut-être, sans pouvoir prendre ce qui en fait la sève et la vertu ; races que la Providence semble appeler aux époques de transition, pour conserver et pour transmettre le dépôt de la civilisation, mais qui ne créent ni une idée, ni une science nouvelle. J’ajouterais, si je ne craignais pas de pousser trop loin la subtilité, qu’aux époques où ces races prennent l’ascendant dans le monde, il se fait ordinairement dans la civilisation même qu’elles sont destinées à imiter un travail curieux de nivellement, je veux dire que cette civilisation descend alors et se met à la portée de tous, soit pour les idées, soit pour les sciences, qu’elle se répartit et qu’elle se distribue plus également. C’est l’époque où tout le monde a de l’esprit, où toutes choses s’expliquent à tous avec grace, avec facilité, où tout se comprend, où tout le monde a l’air d’avoir du génie, soit en politique, soit en littérature, parce que la mémoire supplée à la pensée et le dire au savoir, c’est enfin l’époque des journaux et des journalistes. Mais, en se répandant de cette manière, cette civilisation se diminue et s’amincit, il faut l’avouer, et cet affaiblissement même la prépare et la propor-