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correctif, soit dans la démocratie elle-même, soit dans d’autres institutions, qui, loin d’être incompatibles avec elle, peuvent au contraire s’y rattacher et la modifier utilement.

C’est ainsi qu’il demande aux études classiques de corriger ce qu’elle a d’incorrect et de vulgaire dans ses productions.

C’est ainsi qu’il demande à la liberté politique de tirer par des institutions larges les hommes de leurs intérêts individuels, de les arracher de temps à autre à la vue d’eux-mêmes, et de les forcer à s’oublier en quelque sorte eux-mêmes et à songer à leurs semblables, ne fût-ce que par ambition. « Quand le public gouverne, il n’y a pas d’hommes qui ne sache le prix de la bienveillance publique et qui ne cherche à la captiver en s’attirant l’estime et l’affection de ceux au milieu desquels il doit vivre. Plusieurs des passions qui glacent les cœurs et les divisent sont alors obligées de se retirer au fond de l’ame et de s’y cacher. L’orgueil se dissimule, le mépris n’ose se faire jour ; l’égoïsme a peur de lui-même. »

C’est ainsi encore qu’il demande aux journaux de rendre la possibilité de s’entendre et d’agir en commun à des hommes qui ne sont plus liés entre eux d’une manière solide et permanente, comme dans les aristocraties. « Les principaux citoyens qui habitent un pays aristocratique s’aperçoivent de loin ; et s’ils veulent réunir leurs forces, ils marchent les uns vers les autres, entraînant une multitude à leur suite. » Dans les démocraties, « cela ne peut se faire habituellement et commodément qu’à l’aide d’un journal ; il n’y a qu’un journal qui puisse venir déposer au même moment dans mille esprits la même pensée. Les journaux deviennent donc plus nécessaires à mesure que les hommes sont plus égaux, et l’individualisme plus à craindre. Ce serait diminuer leur importance que de croire qu’ils ne servent qu’à garantir la liberté ; ils maintiennent la civilisation. »

Enfin, c’est à l’esprit d’association qu’il demande de corriger ce que l’individualisme met de décousu et par-là de faiblesse, d’impuissance chez les peuples démocratiques. Ainsi qu’il le fait observer, « il existe un rapport nécessaire entre les associations et les journaux : les journaux font les associations, et les associations font les journaux ; et, s’il a été vrai de dire que les associations doivent se multiplier à mesure que les conditions s’égalisent, il n’est pas moins certain que le nombre des journaux s’accroît à mesure que les associations se multiplient. »

Cette partie de son travail où M. de Tocqueville s’applique à mettre en lumière tout ce qui peut atténuer et faire disparaître les incon-