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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

foule d’objets divers ; il aspire sans cesse à pouvoir rattacher une foule de conséquences à une seule cause.

« L’idée de l’unité l’obsède, il la cherche de tous côtés, et, quand il croit l’avoir trouvée, il s’étend volontiers dans son sein et s’y repose. Non-seulement il en vient à ne découvrir dans le monde qu’une création et un créateur ; cette première division des choses le gêne encore, et il cherche volontiers à grandir et à simplifier sa pensée en renfermant Dieu et l’univers dans un seul tout. Si je rencontre un système philosophique suivant lequel les choses matérielles et immatérielles, visibles et invisibles, que renferme le monde, ne sont plus considérées que comme les parties diverses d’un être immense qui seul reste éternel au milieu du changement continuel et de la transformation incessante de tout ce qui le compose, je n’aurai pas de peine à conclure qu’un pareil système, quoiqu’il détruise l’individualité humaine, ou plutôt parce qu’il la détruit, aura des charmes secrets pour les hommes qui vivent dans les démocraties ; toutes leurs habitudes intellectuelles les préparent à le concevoir et les mettent sur la voie de l’adopter. Il attire naturellement leur imagination et la fixe ; il nourrit l’orgueil de leur esprit et flatte sa paresse.

« Parmi les différens systèmes à l’aide desquels la philosophie cherche à expliquer l’univers, le panthéisme me paraît l’un des plus propres à séduire l’esprit humain dans les siècles démocratiques ; c’est contre lui que tous ceux qui restent épris de la véritable grandeur de l’homme doivent se réunir et combattre. »

Évidemment c’est là une conjecture plutôt qu’une observation. Il n’y a peut-être pas dix personnes en Amérique qui sachent d’une manière un peu exacte ce que c’est que le panthéisme, il n’y en a peut-être pas une seule qui l’ait adopté comme doctrine religieuse et philosophique. En France même, où sont les panthéistes ? Nulle part. Une secte éphémère avait montré dans ses rêves quelques tendances panthéistiques. Tout cela n’est plus. C’était une de ces ébullitions passagères qui ne sont qu’un symptôme de l’inquiétude, de l’agitation des esprits. Ce ne sont pas là des tendances sérieuses, permanentes, moins encore des croyances établies, des doctrines reçues. Que reste-t-il hors de là ? Quelques poésies, quelques romans où des imaginations vagabondes ont jeté quelques aperçus de panthéisme, uniquement dans le but de parler de toutes choses, et surtout des choses qu’on sait le moins, et pour oser dire ce que nul ne pense. Encore une fois ce n’est pas là, ce nous semble, un fait assez général, un fait pouvant servir de base à une induction.