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vantes s’étendaient à perte de vue devant et derrière nous. Les flower-boats, ces riches salons flottans, laissaient échapper des faisceaux de lumière à travers leurs stores et leurs persiennes dorées. Partout, sur ces eaux si animées, le plaisir semblait faire entendre sa voix, appelant, avec les ombres de la nuit, les Chinois de toutes les classes à dépenser dans la débauche une partie de l’argent laborieusement acquis pendant la journée. À mesure que nous avancions, un bruit continuel de gongs et d’autres instrumens bruyans paraissait nous suivre, et l’odeur d’huile de ricin se mêlait à tout cela, pour donner à cette soirée le caractère le plus chinois du monde. Enfin nous laissâmes derrière nous les longues lignes illuminées de la ville flottante, qui, dit-on, ne compte pas moins de trois cent mille ames (Canton en contient près d’un million), et, lorsque nous passâmes à Whampoa, tout dormait dans cette rade si peuplée, dont les rives fourmillent de maisons.

Le 7, à onze heures du matin, nous arrivâmes, après avoir été contrariés par le calme, à côté de la frégate, qui avait quitté Lin-tin la même nuit pour mouiller devant Macao, à cinq milles de la ville.

Avec ses couvens fortifiés couronnant les hauteurs et ses longues rangées de maisons blanches sur une grève aride, Macao n’offre pas un coup d’œil bien gai, quoiqu’assez pittoresque, et cette ville sent le Portugais d’une lieue. Nous débarquâmes, au milieu des jonques de guerre et des champans de toutes les formes, devant la partie chinoise de la ville ; c’est là que sont les chantiers de construction et les bazars tortueux qui rappellent un peu les rues si bruyantes et si animées de Canton.

Il nous fallut grimper des sentiers ardus, des rues aux larges dalles échauffées par un soleil ardent, qui nous conduisaient dans la partie de cette ville morte et silencieuse où se trouve la belle maison de M. Inglis. Durand avait aussi un appartement dans cette demeure hospitalière, ainsi qu’un jeune homme nommé Borgès, qu’il avait amené avec lui de Valparaiso. Je fus présenté au maître de la maison, et nous montâmes ensuite chez M. Borgès, que nous trouvâmes entouré de dessins et de peintures, occupé à finir un petit tableau représentant une vue de Canton. M. Borgès est un amateur de dessin distingué, qui ne voyage que pour satisfaire son goût pour cet art, devenu chez lui une vraie passion. Après avoir admiré les nombreux croquis qu’il a faits en traversant les Cordillères des Andes, après avoir respiré encore une fois avec bonheur cet air d’atelier que je n’avais pas senti depuis long-temps, je me mis à la disposition de