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JOURNAL D’UN OFFICIER DE MARINE.

tirer en notre honneur un petit feu d’artifice. La principale pièce et la plus curieuse pour nous se composait d’un grand vase suspendu au niveau de la fenêtre où nous étions. Le feu prit à ce vase après l’explosion de plusieurs magnifiques soleils de toutes les couleurs, dont les rayons enflammés furent près de mettre le feu au beau tapis de la salle à manger ; alors on vit un gros arbuste que le vase contenait se couvrir de fruits ronds et bleuâtres, ressemblant assez à de belles prunes. Quoique formés par une flamme colorée, ces fruits faisaient complètement illusion ; au bout de quelque temps, ils commencèrent à prendre une teinte plus rouge et à diminuer de volume comme s’ils se flétrissaient ; ils tombèrent enfin un à un, et la cour fut rendue à sa première obscurité. Ce petit échantillon de l’habileté des Chinois en pyrotechnie nous prouva qu’il n’y avait rien d’exagéré dans les récits merveilleux que font les voyageurs des grands feux d’artifice que l’on tire à Pékin.

À une heure du matin, je me jetai sur mon lit, content d’avoir vu un dîner chinois, mais jurant bien qu’on ne m’y reprendrait plus.

Le 5 était le jour fixé pour le départ. Grace à M. Pereyra, nous avions retenu à temps une de ces goëlettes qui, moyennant cinquante gourdes, prennent jusqu’à six passagers pour aller à Macao ; d’ailleurs, quel que soit le nombre des passagers, le prix est le même. Cette goëlette ne nous servit que pour le transport de nos caisses, qui l’encombraient tellement, que nous aurions eu peine à nous y caser nous-mêmes. Durand s’était chargé de nous emmener sur un autre bâtiment, et cela l’obligea à partir de Canton quelques jours plus tôt qu’il ne l’avait d’abord résolu.

M. Beauvais nous avait tous retenus d’avance pour dîner chez lui le jour du départ. Nous passâmes donc encore quelques heures avec cet excellent homme, à qui nous devions, ainsi qu’à Durand, de n’avoir pas été jetés, comme des fous qui ne savent où donner de la tête, dans cette ville étrange où un guide est une chose indispensable. À cinq heures et demie, nous nous rendîmes au rivage accompagnés de toutes nos connaissances ; nous prîmes une tanca pour nous transporter à bord de la goëlette, et, après les serremens de main et les accolades d’adieu, nous nous éloignâmes, laissant à regret cette ville merveilleuse dont nous n’avions joui qu’en courant.

Le Sylphe avait levé l’ancre et glissait tranquillement emporté par la marée quand nous l’atteignîmes. La nuit s’avançait, une nuit calme et délicieuse, et le fleuve, éclairé de mille feux, réfléchissait partout la lumière diversement colorée des lanternes, dont les lignes mou-