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JOURNAL D’UN OFFICIER DE MARINE.

montrant un mur, dit : — Il y a ici une porte et puis un bel appartement ; je passe la porte, j’ai passé, je suis dans l’appartement. — Et le spectateur à imagination complaisante le voit dans sa nouvelle demeure. De la même manière, avec deux mots et sans frais de poste, un courrier fait deux cents lieues sur un théâtre chinois le plus lestement du monde ; il fait le geste de monter à cheval, il déclare qu’il part, puis qu’il est revenu, et personne n’en doute.

Au second acte, nouvel apparat, nouveaux costumes plus beaux que les premiers. Cette fois, le théâtre est couvert d’un nombreux cortége, la garde est doublée, les bourreaux se tiennent derrière, et les instrumens du supplice brillent de toutes parts. Le coupable est amené devant le trône ; là on le dépouille, pièce à pièce, de tous ses habits, ne lui laissant qu’une simple robe ; puis, malgré ses cris et ses prières, il est étendu la face contre terre. Six bourreaux armés de bambous s’avancent lestement et font pleuvoir sur lui une grêle de coups ; mais voilà que sa femme, vêtue en légère amazone, tombe comme la foudre au milieu de l’auguste réunion ; elle tient à la main droite un glaive étincelant, qu’elle agite et fait tournoyer sur sa tête en bondissant comme une panthère autour des bourreaux qu’elle terrasse, des gardes qu’elle disperse, et même des juges et du monarque, dont la fuite honteuse la laisse maîtresse du champ de bataille avec son mari moulu de coups de bâton !

Ici vient une scène d’attendrissement : la vaillante épouse chante et déclame un morceau qui fait saigner les oreilles, et le mari lui débite je ne sais quoi de la voix d’un homme qui crie au secours. Voilà le second acte, ou peut-être le dernier ; car, à cette période du spectacle, j’étais tellement fatigué d’entendre les miaulemens des acteurs et les assourdissantes vibrations des gongs, que je n’en pouvais plus, et je n’aspirais qu’au moment de partir, jetant seulement de temps en temps un coup d’œil sur la scène pour voir les costumes des acteurs. Malheureusement, dès le commencement, Morrison, appelé par quelque affaire, nous avait laissés seuls, et il ne fallait pas songer à quitter la salle avant d’avoir un guide. La nuit approchait, et nous commencions à être assez inquiets, lorsqu’arriva un jeune Américain, nommé Hunter, envoyé par Morrison pour nous prendre. S’il était venu plus tôt, comme il parle chinois, il aurait pu nous donner bien des explications qu’il était maintenant trop tard pour lui demander ; mais nous allions partir, et c’était le principal.

Nous avions à refaire tout le chemin que nous avions suivi avec Morrison, et c’était bien assez ; malheureusement, notre guide voulut