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COLOMBA.

leurs ce n’est pas de la mort d’un brave que ce misérable doit mourir.

— Colomba, ma bonne, tu es la femme forte. Je t’ai de grandes obligations pour m’avoir sauvé un bon coup de couteau. Donne-moi ta petite main que je la baise ; mais, vois-tu, laisse-moi faire. Il y a certaines choses que tu n’entends pas. Donne-moi à déjeuner, et, aussitôt que le préfet se sera mis en route, fais-moi venir la petite Chilina, qui paraît s’acquitter à merveille des commissions qu’on lui donne. J’aurai besoin d’elle pour porter une lettre.

Pendant que Colomba surveillait les apprêts du déjeuner, Orso monta dans sa chambre, et écrivit le billet suivant :


« Vous devez être pressé de me rencontrer ; je ne le suis pas moins. Demain matin, nous pourrons nous trouver à six heures dans la vallée d’Acquaviva. Je suis très adroit au pistolet et je ne vous propose pas cette arme. On dit que vous tirez bien le fusil : prenons chacun un fusil à deux coups. Je viendrai accompagné d’un homme de ce village. Si votre frère veut vous accompagner, prenez un second témoin et prévenez-moi. Dans ce cas seulement, j’aurai deux témoins.

« Orso-Antonio della Rebbia. »


Le préfet, après être resté une heure chez l’adjoint du maire, après être entré pour quelques minutes chez les Barricini, partit pour Corte, escorté d’un seul gendarme. Un quart d’heure après, Chilina porta la lettre qu’on vient de lire, et la remit à Orlanduccio en propres mains.

La réponse se fit attendre et ne vint que dans la soirée. Elle était signée de M. Barricini père, et il annonçait à Orso qu’il déférait au procureur du roi la lettre de menaces adressée à son fils. — Fort de ma conscience, ajoutait-il en terminant, j’attends que la justice ait prononcé sur vos calomnies.

Cependant cinq ou six bergers mandés par Colomba arrivèrent pour garnisonner la tour des della Rebbia. Malgré les protestations d’Orso, on pratiqua des archere aux fenêtres donnant sur la place, et toute la soirée il reçut des offres de service de différentes personnes du bourg. Une lettre arriva même du théologien bandit, qui promettait, en son nom et en celui de Brandolaccio, d’intervenir si le maire se faisait assister de la gendarmerie. Il finissait par ce post-scriptum : « Oserai-je vous demander ce que pense monsieur le préfet de l’excellente éducation que mon ami donne au chien Brusco ? Après Chilina, je ne connais pas d’élève plus docile et qui montre de plus heureuses dispositions. »