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N’allez pas me croire, pourtant, partisan de ces traités qui ont si long-temps humilié la France ; ce que je voudrais seulement, c’est que ces mêmes cabinets qui crurent nous enlever à Vienne la force et la vie apprissent qu’avec un seul droit qu’ils nous ont laissé consigner dans ces actes, la France peut encore les tenir en échec, et se montrer redoutable, même chez eux.

C’est donc une propagande, mais littéralement légale, constitutionnelle, conforme aux traités et aux lois régulières, que je conseille à mon pays ; propagande éclatante, avouée à la face du soleil, et qui apprenne à tous les peuples constitutionnellement organisés que s’attaquer à eux, c’est s’attaquer à nous-mêmes ; que leurs principes et leurs droits seront défendus par nous à l’égal des droits et des principes du peuple français.

Mais, prenez-y garde, cette propagande n’est point celle du National ; non que j’aie pour celle-ci la moindre aversion, mais parce qu’elle repose sur une erreur de fait qui exposerait nos hommes politiques à de dangereuses inconséquences. L’Allemagne veut être libre, mais elle ne veut pas être républicaine. Voilà une vérité dont le moindre voyageur peut s’assurer comme moi. La conquête et la république, voilà ce que redoute l’Allemagne. Garantissez-lui qu’elle n’a à craindre ni l’une ni l’autre, et tous ses peuples vous tendront la main.

Il ne faut pas s’y tromper, notre première révolution est très mal jugée à l’extérieur. La démocratie elle-même y redoute l’influence des démagogues à l’égal de celle de la tyrannie ; et les préventions contre la propagande républicaine sont devenues si populaires en Allemagne, que ces gouvernemens qui redoutent tant la liberté ne prennent pas le moindre ombrage de la république. Promenez-vous sur les places, dans les lieux publics, fréquentez les jardins et les tables d’hôte ; vous entendrez partout chanter la République de Béranger, et jouer la Marseillaise, qu’aucun gouvernement allemand ne songe à proscrire. Mais, si dans un salon vous élevez la moindre question constitutionnelle, on se tait, on vous observe, et vous devinez quelle est la matière inflammable dont on tremble de vous voir approcher.

À ce peuple froid que vous n’exalterez pas, promettez donc le maintien de ses institutions, la défense de ses priviléges contre d’arbitraires usurpations ; promettez-lui votre protection en expliquant en faveur de ses droits la lettre des traités sans y déroger ; qu’au lieu d’une propagande illégale, aventureuse et obscure, il entende le gouvernement français proclamer à sa tribune nationale, dont le monde entier est l’écho, que la France donne l’assurance positive de sa sympathie et de sa protection à tous les états constitutionnels ; qu’elle ne souffrira ni la violation de leurs droits ou de leurs pouvoirs réguliers, ni celle de leurs constitutions garanties par les traités, ni enfin l’occupation même momentanée d’un territoire par les troupes d’un autre pays. Qu’elle identifie ainsi ses intérêts avec ceux de tous les peuples libres, prenant l’engagement de renoncer à toute conquête, mais de les secourir dans la guerre, comme elle-même compte en être secourue. Que de votre parlement cette déclaration retentisse dans l’Europe, et vous en verrez le résultat !