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toute sa vie. La France, tant que la Porte seule agira, tant qu’elle restera seule maîtresse du pays, n’a rien à dire. Mais, quoi qu’on fasse au nom de la convention du 15 juillet, de la convention conclue clandestinement, sans inviter préalablement et formellement la France à la discuter et à y prendre part, certes, le gouvernement français n’y prêtera pas son concours. Son rôle, le minimum, pour ainsi dire, de son rôle, c’est l’observation armée. Le surplus dépendra des évènemens, de la prudence ou de l’audace des cabinets. La politique de la France est connue : elle est désintéressée, mais digne ; la France ne demande rien, mais elle ne laissera pas impunément compromettre l’équilibre européen. Elle aime la paix, elle en connaît et apprécie les avantages ; mais le jour où le droit et l’honneur le lui commanderaient, elle ferait la guerre comme la France peut la faire, et là où la France a le plus d’intérêt à la faire. Elle ne se laisserait pas assigner un champ de bataille, elle le choisirait.

L’Europe ne l’ignore pas, et si quelques doutes lui restaient encore, s’il se trouvait quelque part un homme trop confiant dans ses prévisions, ces doutes et ces croyances seront dissipés, nous le pensons, par ces nobles et vives paroles, par ces paroles si françaises et à la fois si utiles à l’Europe, qui ont été dites en haut lieu. Nous voudrions pouvoir redire tout ce qu’il y avait dans ces paroles augustes de haute raison, de fermeté patriotique, de dignité nationale. La couronne, le pays, le cabinet, sont unanimes, également fermes et modérés, également calmes et résolus. Dès-lors toute inquiétude serait vaine, toute agitation prématurée. Nous pouvons envisager la question de sang-froid, avec toute la confiance que nous inspirent le bon droit, l’honnêteté de notre politique, la force et les sentimens du pays, la sagesse et la résolution du pouvoir.

En présence de ces faits, posons de nouveau la question des moyens coërcitifs. L’insurrection de Syrie n’est plus ; le pacha résiste, nous le supposons du moins. Que fera-t-on ?

Le blocus de la Syrie ? L’Angleterre a toujours soutenu, relativement à l’Espagne, qu’on ne pouvait pas faire accepter aux neutres le blocus des ports d’une puissance amie. Il n’y a pas là de blocus possible, car la Syrie est une province de l’empire ottoman. Or, les Anglais ne peuvent pas bloquer les ports de leur allié, et la Porte ne peut pas se bloquer elle-même. Le sultan pourrait déclarer que par mesure de police il ferme, à toutes les nations sans exception, tel ou tel port. Dans ce cas, les forces du sultan peuvent seules intervenir pour faire exécuter la mesure.

Le bombardement d’Alexandrie ? Indépendamment de tout ce qu’il y aurait à dire sur la légalité, la moralité et la possibilité de cet expédient, qui réveillerait de tristes souvenirs, ce serait un singulier service à rendre à la Porte que de brûler, avec la flotte égyptienne, la flotte turque, que le pacha placerait, sans aucun doute, en première ligne. Serait-ce une preuve de la tendresse anglo-russe pour le sultan ? Et si, comme nous le pensons, Méhémet-Ali préfère quelques pertes, même un désastre à l’ignominie, quel sera le résultat de ces efforts ? quel profit en retirera le sultan ? La lutte sera longue et acharnée,