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REVUE. — CHRONIQUE.

Qu’est-il arrivé ? L’insurrection de Syrie a disparu comme un nuage ; la France, la France unanime a pris à l’instant même l’attitude que sa dignité et son intérêt lui imposaient : les suppositions de lord Palmerston et de M. de Metternich ont fait place à de graves réalités. Méhémet-Ali, vainqueur de l’insurrection, développe ses moyens de défense et oppose aux sommations de la Porte un refus péremptoire : la France observe et se prépare à tout évènement.

Les auteurs de la convention anglo-russe se trouvent ainsi jetés sur une mer où peuvent éclater de grands orages, et dont ils n’avaient pas soupçonné les écueils. Il est impossible que la prudence ne reprenne pas son empire sur des hommes blanchis dans les affaires, et qui ont à sauver le repos de leurs vieux jours et l’éclat de leur renommée. À l’heure qu’il est, plus d’un diplomate regrette, nous le pensons, d’avoir concouru à un acte qui n’est au fond qu’une étourderie.

Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le memorandum adressé à la France le 17 juillet. Qu’est-ce qu’une convention sur l’Orient, conclue sans la France et se fondant sur deux suppositions que notre ambassadeur, M. Guizot, à l’instant même, a nettement et fortement contredites ? On prétendait que l’arrangement proposé au pacha reposait sur des idées émises par le gouvernement français. Il n’en est rien. On prétendait que la France avait donné le droit de croire que dans aucun cas elle ne s’opposerait aux mesures prises par les puissances. La France, au contraire, jamais, à aucune époque, n’a aliéné sa liberté d’action. M. Guizot l’a constaté, et on n’a rien eu à lui répondre.

Loin de nous le désir, la pensée d’envenimer la querelle. S’il était en notre pouvoir d’effacer d’un trait de plume les incidens des six dernières semaines, et de rétablir à l’instant même entre l’Angleterre et la France, entre les deux grandes nations constitutionnelles de l’Europe, cette union intime qui était également utile et honorable aux deux pays, et qui seule garantissait la paix du monde, certes nous n’hésiterions pas à le faire. Cependant qu’on nous permette de faire remarquer au noble lord le singulier langage qu’il tient à la France à la fin du mémorandum. Au moment où il quitte l’alliance française pour se jeter dans les bras de la Russie, au moment où il se propose de faire en Orient ce que la France désapprouve, c’est à la France qu’il demande de lui prêter son concours moral, l’appui de son influence ! « Votre influence, nous dit-il, est toute-puissante à Alexandrie. » Ce langage est-il sérieux ? S’il ne l’était pas, la France aurait le droit de s’en plaindre. Elle est trop grande dame pour que qui que ce soit au monde se permette avec elle l’ironie. Si ce langage, comme nous aimons à le croire, est sérieux, il approche de la naïveté, Quoi ! la France emploierait son influence pour que la convention du 15 juillet, faite sans elle et en quelque sorte contre elle, ne reste pas une lettre morte ! la France viendrait en aide à l’alliance anglo-russe ! elle contribuerait à amoindrir l’homme qu’on déteste à Saint-Pétersbourg et que poursuivent de leur haine lord Palmerston et lord Ponsonby !

Encore une fois, libre au pacha de rendre, si bon lui semble, à la Porte toutes ses possessions ; libre à lui de prendre peur, et de démentir, s’il le veut,