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On s’est trompé. C’est ainsi que se trompent souvent les hommes que le vulgaire qualifie d’habiles. Il est arrivé au gouvernement français ce qui arrive aux personnes véridiques. Sans le vouloir ils induisent en erreur les esprits méfians qui redoutent toujours le mensonge.

La politique de la France a été simple, franche, honnête. Elle a toujours voulu une solution pacifique de la question d’Orient, et une solution qui écartât tout empiétement d’une puissance européenne sur l’empire ottoman. Sans doute peu importe à la France que Méhémet-Ali conserve ou abandonne telle ou telle partie du territoire qu’il occupe. S’il prenait fantaisie au pacha de rentrer dans la vie privée ou de rendre au sultan le gouvernement de la Syrie, voire même celui de l’Égypte, la France n’y apporterait aucun obstacle. Mais la saine politique ne se fonde pas sur de folles suppositions. En fait, Méhémet-Ali occupe depuis long-temps ces provinces ; il y est fortement établi ; il n’est pas homme à s’en dessaisir de bon gré ; le gouvernement français, en tenant compte de ces faits, des embarras de l’empire ottoman, des antécédens du pacha, de son habileté, de son influence en Orient, a compris que toute tentative sérieuse pour arracher au pacha ses conquêtes pourrait amener un choc funeste à la Porte et des complications dangereuses pour la paix du monde. La France, suivant cette politique calme, sensée, pratique, qui distingue éminemment la monarchie de juillet, en a conclu qu’il fallait, dans l’intérêt de l’empire ottoman et de l’équilibre européen, accepter les faits accomplis, et arriver, par une sage lenteur et par l’influence morale des puissances, à un arrangement qui, sans rien ôter de ses forces réelles à la Porte, la mît à l’abri de toute secousse et de tout démembrement. Méconnaître la politique de la France, c’est obéir à d’aveugles préventions ou à de coupables arrière-pensées. La politique de la France concilie les intérêts légitimes de tout le monde, tous les intérêts qu’on peut avouer. La politique contraire n’est qu’égoïsme, faiblesse et colère : en effet, les vues égoïstes de la Russie, la colère de lord Palmerston et de lord Ponsonby, la faiblesse des cabinets autrichien et prussien, excitées, encouragées par de fausses suppositions à l’endroit de la France, sont les mobiles de cette monstrueuse alliance, qui, incapable de rien produire de décisif, a cependant déjà fait beaucoup de mal par la perturbation et les alarmes qu’elle a jetées dans les marchés du monde.

Elle ne peut rien produire de décisif, car il en est des moyens d’exécution comme du principe même du traité : tout reposait sur de vaines suppositions. Les négociateurs, nous en sommes convaincus, n’ont pas osé fixer leur pensée sur l’énormité des moyens que la résistance de Méhémet-Ali pourrait rendre nécessaires ; ils ne se sont pas représenté la France surveillant d’un œil justement jaloux et l’arme au bras toute tentative violente, la France prête à jeter, coûte que coûte, tout son poids dans la balance, le jour où l’équilibre européen paraîtrait sérieusement troublé. Non : ils ont cru, d’un côté, que l’insurrection de Syrie se chargerait de l’exécution de leurs arrêts, et de l’autre que la France, à tout évènement, ne ferait pas sortir un fusil de plus de ses arsenaux.