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COLOMBA.

plément obligé. En entrant dans la salle, ils ôtèrent respectueusement leurs bonnets.

On peut concevoir l’effet que produisit leur subite apparition. Le maire pensa tomber à la renverse ; ses fils se jetèrent bravement devant lui, la main dans la poche de leur habit, cherchant leur stylet. Le préfet fit un mouvement vers la porte, tandis qu’Orso, saisissant Brandolaccio au collet, lui cria : Que viens-tu faire ici, misérable ?

— C’est un guet-apens ! s’écria le maire essayant d’ouvrir la porte ; mais Saveria l’avait fermée en dehors à double tour, d’après l’ordre des bandits, comme on le sut ensuite.

— Bonnes gens ! dit Brandolaccio, n’ayez pas peur de moi ; je ne suis pas si diable que je suis noir. Nous n’avons nulle mauvaise intention. Monsieur le préfet, je suis bien votre serviteur. — Mon lieutenant, de la douceur, vous m’étranglez. — Nous venons ici comme témoins. Allons, parle, toi, curé, tu as la langue bien pendue.

— Monsieur le préfet, dit le licencié, je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous. Je m’appelle Giocanto Castriconi, plus connu sous le nom du curé… Ah ! vous me remettez ? Mademoiselle, que je n’avais pas l’avantage de connaître non plus, m’a fait prier de lui donner des renseignemens sur un nommé Tomaso Bianchi, avec lequel j’étais détenu, il y a trois semaines, dans les prisons de Bastia. Voici ce que j’ai à vous dire…

— Ne prenez point cette peine, dit le préfet ; je n’ai rien à entendre d’un homme comme vous… Monsieur della Rebbia, j’aime à croire encore que vous n’êtes pour rien dans cet odieux complot. Mais êtes-vous maître chez vous ? Faites ouvrir cette porte. Votre sœur aura peut-être à rendre compte des étranges relations qu’elle entretient avec des bandits.

— Monsieur le préfet, s’écria Colomba, daignez entendre ce que va dire cet homme. Vous êtes ici pour rendre justice à tous, et votre devoir est de rechercher la vérité. Parlez, Giocanto Castriconi.

— Ne l’écoutez pas ! s’écrièrent en chœur les trois Barricini.

— Si tout le monde parle à la fois, dit le bandit en souriant, ce n’est pas le moyen de s’entendre. Dans la prison donc, j’avais pour compagnon, non pour ami, ce Tomaso en question. Il recevait de fréquentes visites de M. Orlanduccio…

— C’est faux, s’écrièrent à la fois les deux frères.

— Deux négations valent une affirmation, observa froidement Castriconi. Tomaso avait de l’argent ; il mangeait et buvait du meilleur. J’ai toujours aimé la bonne chère (c’est là mon moindre défaut), et,