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LE TOMBEAU DE NAPOLÉON.

Quelques personnes proposeraient de ne pas sortir de l’Hôtel des Invalides, et de placer le tombeau au milieu de la grande cour à arcades. Nous ne pensons pas que cette idée puisse être adoptée. Un tel lieu n’est ni assez retiré, ni assez solitaire pour recevoir un tombeau : ajoutons que cette cour est aussi un chef-d’œuvre dans son genre, et qu’élever une si grande masse au milieu de ses quatre façades ce serait en changer complètement l’effet. Ne troublons pas cette belle et sévère harmonie, laissons l’œil suivre librement ces longues séries d’arcades, et pénétrer sans obstacles dans les galeries de ce cloître guerrier.

Pour nous, il est un autre emplacement, qui nous semblerait mieux choisi : c’est un lieu prédestiné en quelque sorte à recueillir cette dépouille mortelle de Napoléon, et plus d’une fois, long-temps avant qu’il fût question du retour de ses cendres, nous y avions rêvé son tombeau. Je veux parler de cette place où lui-même avait jeté les fondemens du palais du roi de Rome. Ce terrain, par sa grandeur, par son élévation, par son isolement, semble fait à dessein pour un tel monument. Je n’ajouterais au projet de M. Marochetti qu’un large et grand soubassement placé sur le haut de la colline, et auquel on parviendrait par les deux rampes actuelles. Ces rampes, revêtues de murs de terrasses, prendraient elles-mêmes un caractère monumental. Au-dessus du grand soubassement, je placerais, à la manière antique, un triple rang d’arbres toujours verts, et c’est au-dessus de cette masse de verdure épaisse et sombre que se détacherait sur le ciel la silhouette pyramidale du monument, si heureusement accidentée par les quatre figures assises aux quatre angles, si hardiment couronnée par la statue équestre.

C’est là que Napoléon voulait élever la demeure de sa dynastie naissante, c’est là que sa dynastie éteinte serait ensevelie avec lui. Il dominerait ce nouveau Paris dont il fut pour ainsi dire le créateur, ces rives de la Seine qu’il voulait couvrir d’une longue ligne de palais ; à ses pieds, sous son regard, s’étendrait le Champ-de-Mars : le spectacle des manœuvres réjouirait encore son ombre, et quand vers le matin nos jeunes soldats viendraient s’exercer aux fatigues du métier des armes, ils verraient au-dessus de leur tête cette grande figure s’éclairer des rayons du soleil levant, comme un phare lumineux placé là pour leur montrer le chemin des combats et de la victoire.


L. Vitet.