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LE TOMBEAU DE NAPOLÉON.

beau ? sera-t-il digne de sa destination ? Pour cela deux conditions sont nécessaires : il faut d’abord que l’artiste ait du talent ; puis il faut, et avant tout peut-être, que le lieu soit fait pour recevoir le monument.

Nous sommes prêt à en convenir, quelque lieu qu’on eût choisi, quelque programme qu’on eût adopté, construire un monument funéraire pour Napoléon devait toujours être une entreprise à faire pâlir le plus audacieux génie, une œuvre à laquelle personne, de nos jours, n’est vraiment de taille à se mesurer. Il est de ces sujets désespérans parce qu’ils mettent tous les esprits en travail. Qui de nous n’a pas rêvé plus ou moins vaguement son tombeau de Napoléon ? Qui ne se l’est figuré plus grandiose, plus imposant, plus formidable qu’il ne pourra jamais être ? Quand l’artiste est ainsi en concurrence avec l’imagination de tout le monde, la lutte est presque impossible, il est vaincu d’avance.

Aussi je plains très sincèrement celui qui subira ce fardeau ; mais je le plains surtout lorsque j’entre sous ce dôme, monument achevé, complet, dont chaque pierre est taillée selon l’esprit de son époque, dont les lignes, un peu molles, mais harmonieuses, forment un tout que rien ne saurait impunément troubler, dont les arcades, correspondant les unes avec les autres, doivent rester en libre communication sans qu’aucune masse intermédiaire vienne les obstruer ; et c’est là, dans cette rotonde, au milieu de ce pavé, qu’il faut planter un monument, et pour qui ? pour l’homme d’Arcole, d’Austerlitz et de Montmirail ! Passe encore pour Louis XIV : je conçois une sorte de catafalque de marbre et de bronze, d’une hauteur moyenne, surmonté d’un monarque à genoux, la tête courbée devant l’autel ; les larges plis de son manteau royal, les profils onduleux du monument, les figures qui se groupent à sa base, les ornemens qui les accompagnent, loin d’être des dissonnances choquantes avec le style de l’édifice, sembleront le compléter, en lui donnant un centre en accord avec toutes ses parties. Mais est-ce là le tombeau que nous pouvons offrir à Napoléon ?

On a commencé par dire qu’on ne voulait qu’un bloc de pierre, une tombe austère, mais impérissable ; pas une figure, pas un emblème : un nom et du granit, rien de plus.

C’était fort beau sur le papier : sur place, ce quartier de rocher eût été ridicule. Il est permis de faire des antithèses ; mais un dolmen ou un menhir sous la coupole de Mansart ! l’amour des contrastes ne peut aller jusque-là.