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COLOMBA.

Ces paroles, et le ton dont elles furent prononcées, déplurent à Orso et lui firent perdre un peu de sa bonne volonté. Il échangea avec les jeunes Barricini des regards où ne se peignait nulle bienveillance.

Cependant tout le monde étant assis, à l’exception de Colomba, qui se tenait debout près de la porte de la cuisine, le préfet prit la parole, et après quelques lieux communs sur les préjugés du pays, rappela que la plupart des inimitiés les plus invétérées n’avaient pour cause que des malentendus. Puis, s’adressant au maire, il lui dit que M. della Rebbia n’avait jamais cru que la famille Barricini eût pris une part directe ou indirecte dans l’évènement déplorable qui l’avait privé de son père ; qu’à la vérité il avait conservé quelques doutes relatifs à une particularité du procès qui avait existé entre les deux familles, que ce doute s’excusait par la longue absence de M. Orso, et la nature des renseignemens qu’il avait reçus ; qu’éclairé maintenant par des révélations récentes, il se tenait pour complètement satisfait, et désirait établir avec M. Barricini et sa famille des relations d’amitié et de bon voisinage.

Orso s’inclina d’un air contraint ; M. Barricini balbutia quelques mots que personne n’entendit ; ses fils regardèrent les poutres du plafond. Le préfet, continuant sa harangue, allait adresser à Orso la contre-partie de ce qu’il venait de débiter à M. Barricini, lorsque Colomba, tirant de dessous son fichu quelques papiers, s’avança gravement entre les parties contractantes :

— Ce sera avec un bien vif plaisir, dit-elle, que je verrai finir la guerre entre nos deux familles ; mais pour que la réconciliation soit sincère, il faut s’expliquer et ne rien laisser dans le doute. — Monsieur le préfet, la déclaration de Tomaso Bianchi m’était à bon droit suspecte, venant d’un homme aussi mal famé. — J’ai dit que vos fils peut-être avaient vu cet homme dans la prison de Bastia

— Cela est faux, interrompit Orlanduccio, je ne l’ai point vu.

Colomba lui jeta un regard de mépris et poursuivit avec beaucoup de calme en apparence.

— Vous avez expliqué l’intérêt que pouvait avoir Tomaso à menacer M. Barricini au nom d’un bandit redoutable, par le désir qu’il avait de conserver à son frère Théodore le moulin que mon père lui louait à bas prix.

— Cela est évident, dit le préfet.

— De la part d’un misérable comme paraît être ce Bianchi, tout s’explique, dit Orso, trompé par l’air de modération de sa sœur.