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LA SICILE.

Cilica (Occhio della Cilica), bouillonne à quelques centaines de pas de là, au niveau même de la mer, et fait jaillir à sa surface une onde pure, claire, et agréable au goût !

En continuant cette excursion mythologique à travers les marais de l’Anapo, qui bordent le grand port, je ne tardai pas à trouver sur ma route une autre nymphe métamorphosée de la même manière. Celle-ci vivait dans les champs de l’Etna, au centre même de la Sicile, où Pluton vint enlever Proserpine. Cyane était une des compagnes de Proserpine. Elle voulut s’opposer à son enlèvement et fatigua tant le ravisseur par les larmes qu’elle versa, qu’il la changea en fontaine. Comment se trouve-t-elle transportée du pied des hauteurs de Castrogiovanni à cette extrémité de l’île ? On l’ignore. Toujours est-il qu’on peut chaque jour la surprendre se jetant gaillardement dans les bras du fleuve Anapo, et courant avec lui vers la mer Ionienne. Près de là sont les deux restes de colonnes, dernier débris du temple de Jupiter Urius, élevé par les Syracusains sur le champ même où ils défirent les Carthaginois, et avec l’or trouvé dans leur camp. Pour bien jouir du coup d’œil ravissant qu’offre l’union des deux cours d’eau, il faut prendre une barque près de la fontaine d’Aréthuse, traverser en ligne droite le bassin du grand port, et aborder à l’embouchure même de l’Anapo, où s’élèvent déjà les forêts de joncs entre lesquels serpente le fleuve. On débarque un moment sur le sable, et, tandis que les matelots portent la barque, on marche jusqu’au point où les eaux sont assez hautes pour la soulever. Là on se rembarque de nouveau et l’on remonte entre deux rives rapprochées qui encaissent l’Anapo et se déroulent sous les arbres, les fleurs, les herbes ondoyantes et les plantes aquatiques dont elles sont chargées. En quelques endroits même, les bords de la nacelle touchent les rives. L’eau est d’une grande profondeur ; mais elle est naturellement si limpide, et l’ombre des arbres qui se projette sur elle la rend si transparente, qu’on aperçoit le sable et les petits rochers qui tapissent le lit de ce fleuve si riant. Bientôt, et toujours en remontant le cours de l’Anapo, on le voit se séparer en deux bras. La plus étroite de ces branches est formée par les eaux de l’antique Cyane, que le peuple de Syracuse nomme grotesquement la Pismôtta. Dès que vous pénétrez dans la rivière de Cyane, une surprise vous attend. Une forêt de longues, sveltes et vertes plantes, s’élance de l’eau. Leurs tiges sont triangulaires ; les unes soutiennent un léger oignon de forme ovale ; les autres, plus avancées dans leur floraison, portent une houpe délicate, arrondie, creuse comme un calice, et terminée par des aigrettes de