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LA SICILE.

simple et élégant style dorique. Une haute frise, ornée de triglyphes surmonte la colonnade, qui rappelle la disposition des temples d’Agrigente et de Pœstum. N’ayant pu abattre ces colonnes, les constructeurs modernes les ont du moins encastrées dans d’épaisses murailles qui ne permettent plus qu’à la pensée, et non à l’œil, d’apprécier la légèreté aérienne que devait avoir, dans sa première forme, cet immense monument. Dans l’intérieur de l’édifice, au contraire, loin de cacher les colonnes dans la pierre des murailles, on a taillé les piliers et les arceaux plâtreux de la nef dans les murs unis de l’antique cella. Enfin, une partie de la base extérieure est cachée sous la terre qui s’est exhaussée comme à Rome et dans d’autres villes antiques, et il ne reste plus que deux des cinq marches qui servaient à monter à l’autel de Minerve. Ce temple a du moins péri noblement, et les noms de ses spoliateurs ont passé à l’immortalité. Le consul Marcellus, qui surprit les Syracusains dans les libations et les débauches de la fête de Minerve et de Diane, ces deux patronnes des hommes sobres et des chastes femmes, porta le premier la main sur les trésors de ce temple et de celui d’Hécate, qui en était voisin. Les bas-reliefs d’ivoire, les gonds et les clous d’or, les portraits des tyrans, les statues, disparurent sans doute à cette époque du sac de la ville, et ce que laissa Marcellus tomba plus tard sous la main du préteur Verrès, l’homme que l’éloquente prose de Cicéron livre, depuis des siècles, à la juvénile indignation de tous les écoliers. Je soupçonne toutefois le grand rhéteur d’avoir exagéré les richesses du temple de Syracuse, d’abord pour arrondir ses phrases, comme fait tout bon rhéteur, puis pour grandir aux yeux des Romains l’énormité des crimes de Verrès ; car, quelque riche que soit l’ordonnance, quelque noble que soit l’architecture de ce vaisseau, elles ne dépassent pas en fini et n’égalent même pas en élégance les vieux monumens antiques de l’Italie.

En se dirigeant vers le rempart, on trouve à l’extrémité de l’île d’Ortygie, à peu de distance du temple de Minerve, un lieu non moins fameux dans l’histoire, la fontaine d’Aréthuse. Qui n’a lu dans Ovide et dans un des dialogues de Lucien la charmante histoire de la fille de la nymphe Doris, la timide nymphe Aréthuse, qui vivait innocente et heureuse dans les campagnes d’Élos, la plus belle contrée du Péloponèse, quand un fleuve ardent et libertin, le fougueux Alphée, l’aperçut au milieu de ses sœurs, et se mit à sa poursuite ? On sait comment la chaste Diane, la protectrice de toutes les vierges éperdues de l’Arcadie, eut pitié de son embarras, et la changea en fontaine au moment où le dieu-fleuve la saisissait dans ses bras.