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LA SICILE.

n’avaient trouvé pour abri que des édifices à demi couverts, peu dignes de si hauts personnages, et qui n’avaient été habités jusqu’alors que par les muletiers et leurs animaux, et leurs visages sillonnés de petites tumeurs montraient que les taons et les moustiques d’Afrique, dont la côte est voisine de ce coin méridional de la Sicile, leur avaient fait payer cher la triste hospitalité qu’ils avaient trouvée dans les écuries de Noto. D’autres, plus malheureux encore, erraient au soleil sur les places assez vastes de cette cité montueuse, regrettant les rues étroites, mais ombragées d’Ortygie, et les eaux souillées de la fontaine d’Aréthuse. Un instant je me crus transporté à Pontoise, au temps où le chancelier Maupeou y exila le parlement ; mais Pontoise, comparé à l’horrible bourg qu’on nomme la ville de Noto, est une véritable capitale, et les présidens, conseillers, avocats et clercs du parlement de Paris n’étaient pas forcés de se rendre à cheval à leur exil, faute de routes, d’y écrire sur un billard et de coucher sur une maigre litière de paille, avec des mulets, et, ce qui est pire, avec des muletiers. Ces juges siciliens et ces magistrats qu’on transportait ainsi, par un décret, d’une ville à une autre, sont tous amovibles. Cependant le code Napoléon est en vigueur en Sicile, mais en partie seulement, et les deux codes, pénal et d’instruction criminelle, ont été remplacés par d’autres dispositions. L’institution du jury a également été supprimée, mais on a conservé la publicité des débats judiciaires et toutes les formes des tribunaux français. Par suite des émeutes qui eurent lieu à l’occasion du choléra, et qui amenèrent des mesures de rigueur, la cour suprême ou de cassation fut transférée à Naples. Jusqu’alors les Siciliens, qui sont très processifs, avaient le privilége de se faire juger en dernier ressort devant les tribunaux de Sicile. Aujourd’hui, quand ils ont épuisé leurs huit degrés de juridiction, passé par les conciliateurs, les tribunaux d’arrondissement, les tribunaux d’instruction, les tribunaux civils, les grandes cours criminelles, les grandes cours spéciales, les grandes cours civiles, ils se voient forcés de franchir le détroit et d’aller demander justice à Naples. Le côté véritablement fâcheux de cette mesure pour la Sicile, c’est qu’elle enlève à ses habitans un certain nombre de places de magistrats qui leur étaient dévolues par le décret du 11 novembre 1816, en vertu duquel tous les emplois civils au-delà du Phare devaient être donnés aux Siciliens.

Parmi les personnages déportés de Syracuse à Noto, se trouvaient aussi l’intendant, le syndic et tout l’état-major administratif de la vallée. Je vous ai déjà dit, dans une de mes lettres (et vous le