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un grand lazareth à Magnisi, et un autre sur la côte méridionale du royaume de Naples. Un sourire m’apprit que je m’étais trompé, et je vis, par la réponse qu’on daigna faire, qu’examiner curieusement un pays qu’on traverse ne suffit pas pour apprécier avec justesse ses avantages et ses nécessités. Cette réponse, la voici : « Qui oserait établir un lazareth pour les cas de peste dans un pays qu’un garde de la côte ou de la santé n’hésiterait pas à exposer à la contagion, si on lui offrait quelques ducats ? »

Il est impossible de ne pas rendre hommage aux sentimens de sollicitude qui s’opposent à la formation d’un établissement sanitaire sur cette côte, surtout quand on songe qu’en écartant ces nobles scrupules, on ferait bientôt de l’excellent havre de Syracuse une station navale de la plus haute importance, bien préférable à Malte, et un vaste entrepôt du commerce avec l’Adriatique, la Morée, l’Égypte et le Levant, tandis qu’aujourd’hui tout le commerce de Syracuse consiste en exportations de vins, d’huiles, de grains et de poissons. Cependant le port appelle, par sa sûreté et sa grandeur, les vaisseaux de toutes les nations. On n’a pas oublié que Nelson vint s’y ravitailler en 1798, et c’est de là qu’il repartit pour rejoindre la flotte française et la combattre dans une journée mémorable et fatale à la fois pour les deux nations.

Le monument de Marcellus est à l’extrémité de cet isthme de Magnisi. On nomme dans le pays Aguglia, l’aiguille, cette colonne dont il ne reste que la vaste base, et qui fut élevée en commémoration de la victoire remportée par Marcellus sur les Syracusains. Un tremblement de terre la renversa en 1542. Le Symèthe coule près de là. C’est le plus complet des monumens de Syracuse, si l’on excepte le temple de Minerve, dans Ortygie, édifice entièrement défiguré par sa transformation en cathédrale. Dans cette pauvre ville, trois restes de colonne d’ordre gréco-sicule, cachées sous les boiseries d’une maison de la rue Trabochetto, représentent le temple de Diane ; un égout marque la place de la charmante et célèbre fontaine Aréthuse ; vingt-quatre colonnes sans bases, emplâtrées dans le mur d’une église, vous sont données pour ce temple de Minerve dont je viens de vous parler ; deux pierres informes dans une plaine, au bord du fleuve Anape, sont tout ce qui reste du fameux temple de Jupiter, à qui Denys l’Ancien vola le manteau d’or dont l’avait revêtu Phidias ; enfin le chef d’œuvre qu’on admire à genoux, la divine Callipyge, est privée d’un bras, et nul antiquaire ne sait vous dire ce qu’est devenue la charmante tête qui surmontait cette délicieuse statue.