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qu’on attend quand on se dit qu’on entre dans les murs de l’ancienne rivale d’Athènes. Par malheur, l’approche de Syracuse ne vous attriste pas. La plaine qui l’entoure est riante, entrecoupée de jolis coteaux, semée de blé, de fèves, coupée par des champs de vigne où se mêlent gaiement des amandiers, des orangers et des figuiers qui vous offrent l’ombre sous leurs longs bras tordus. En avançant, on vous montre, il est vrai, quelques restes d’amphithéâtres, de catacombes, passage aride, mais dont la vue est moins attristante que celle des carrières qu’on aperçoit aux portes de Paris ; et bientôt on arrive à l’entrée de l’île d’Ortygie, où est la ville de Syracuse actuelle, petite ville forte, bien défendue par sept portes et par un excellent système de fossés. Une petite population assez active s’agite tumultueusement dans les deux ou trois principales rues de cette étroite cité, où vous trouvez la meilleure auberge de la Sicile, véritable inn anglaise, dont le service comfortable achève de vous arracher à vos dernières réminiscences de l’antiquité.

L’histoire des agrandissemens successifs et de la décadence de Syracuse a quelque chose de philosophique dont il est impossible de ne pas être frappé dès les premiers pas qu’on fait dans cette petite île d’Ortygie. Vers l’époque de la fondation de Rome, au dire de Thucydide, vint de Corinthe en Sicile un certain Archias. Jeté par une tempête sur ce rivage, il s’y trouva bien et y fonda une ville à l’aide de quelques Héraclides qui l’accompagnaient. L’île d’Ortygie suffit longtemps à la colonie ; mais enfin, le nombre des habitans s’étant accru, Syracuse étendit son enceinte sur l’isthme qui joint l’île. Cinq quartiers immenses en couvrirent toute l’étendue. L’île fut attachée à la terre ferme par une digue et un pont, et la ville qu’on y avait bâtie primitivement devint une citadelle où l’on enferma, à l’abri de toute attaque, les dieux de Syracuse, ses rois morts et ses rois vivans. Pour les Syracusains, laissant à Ortygie les temples, les palais des princes et leurs tombeaux, ils s’établirent dans les beaux et somptueux quartiers de l’Acradine, de Tycha, d’Épipoli et de Néapolis. À droite et à gauche d’Ortygie, devenue la tête de pont de la capitale, se trouvaient et se trouvent encore aujourd’hui deux ports. L’un, dit le grand, celui que Virgile nommait Sicaniœ sinum, a une lieue et demie de tour ; des flottes entières y trouvaient jadis un refuge, et de là sortirent les innombrables vaisseaux qui soutinrent les doubles attaques des marines de Carthage et d’Athènes. Ce port était fermé, d’un côté, par l’île d’Ortygie, qui forme en partie la rade, et de l’autre, par le promontoire de Plemirium, aujourd’hui Plemirio, où les Syracusains