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besoin de la vengeance et la cupidité réunis ; l’infortuné cède et donne un rendez-vous aux inconnus dans un endroit écarté. C’est de là qu’il doit partir avec eux pour les guider dans l’exécution du complot, car l’homme dont il veut se venger est son parent, et il sait comment on peut pénétrer dans sa maison. Un grand crime va être commis, mais la femme du coupable, cet ange gardien que le mélodrame ne manque jamais de donner à la vertu qui chancelle, a épié ses démarches, et dans une scène pathétique lui arrache d’abord l’aveu de son projet ; elle le conjure au nom de ses enfans de renoncer à cet infâme complot ; enfin, réveillant habilement la générosité naturelle de son époux, elle l’amène à ne se venger de son ennemi que par un bienfait. Cette scène, parfaitement conduite, et qui rappelle la grande scène de la prison dans la Tour de Nesle, a fait la fortune de la pièce. Le vagabond, ramené à la vertu, arrache la fille de l’homme qui l’a ruiné des mains de ses ravisseurs, la lui rend, et la fait épouser par ce grand seigneur qui a voulu lui ravir l’honneur. Le père, reconnaissant, se réconcilie avec son noble ennemi, et lui rend les biens qu’il lui avait enlevés. De cette façon, la vertu est récompensée, le crime puni, l’innocence protégée, et tout finit pour le mieux.

Il était naturel qu’un ouvrage si raisonnablement pathétique obtînt un grand succès, étant joué surtout par des acteurs chaleureux, qui se livrent corps et ame à leurs rôles. En Italie, ces acteurs, remplis sinon de talent, du moins de cette verve qui en tient lieu, de ce feu qui remplace l’étude, ne sont pas rares, et c’est habituellement sur les théâtres secondaires qu’on les rencontre. Gottardi, dans la pièce que nous venons d’analyser, enlevait, par sa manière impétueuse et quelque peu sauvage, les applaudissemens des spectateurs les plus froids ; la Bettini le secondait admirablement. Elle avait surtout un élan qui électrisait la salle entière et faisait verser des larmes à chacun des spectateurs, lorsque, dans la grande scène de la conversion, elle criait à son mari : Guardami, sono la madre de’ tuoi figli.

Ces acteurs singuliers, si misérables d’ordinaire et si vulgaires par instans, connaissent merveilleusement tous les moyens d’émouvoir. Ils savent se servir adroitement de leur grossièreté, de leur laideur, de leurs infirmités, souvent même d’un tic et d’un ridicule. Casaciello, à Naples, entrait en scène presque toujours ivre, ayant toutes les peines du monde à se tenir sur les jambes, et l’on n’imaginerait jamais tout le parti qu’il tirait de son ivresse, principalement dans les