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de Pétrarque, et nous assistons à des querelles de ménage entre elle et son mari, querelles dont l’effet, assez étrange, est de la rendre prude et intraitable. Cela tient au système de Nota, grossier dans le choix des détails, et néanmoins tendant toujours au but moral.

Le poète piémontais a fait école ; mais ses imitateurs, à force de viser au sérieux et au soutenu, comme ils disent, en sont venus à proscrire le rire de la comédie, — le rire, selon eux, ne convenant guère qu’à la farce, — et sont tombés dans le drame larmoyant de La Chaussée ou dans le drame moral de Sedaine. Les gens de talent, dégoûtés de ce genre bâtard, et manquant d’ailleurs de toute la liberté nécessaire au poète comique, au lieu de batailler avec la censure, ont mieux aimé renoncer à la peinture des mœurs et des ridicules contemporains, et se sont rejetés sur le drame historique et la tragédie, que plusieurs d’entre eux ont entrepris de pousser dans des voies nouvelles. Lorsque Alfieri tenait le sceptre de la tragédie, on put croire que tous les poètes de l’Italie allaient se précipiter à sa suite dans une aveugle imitation, comme ils firent au temps de Pétrarque. Ce mouvement dans les esprits eut lieu en effet, mais il fut de courte durée ; Monti et Pindemonte sortirent seuls avec honneur de la foule de ces imitateurs. Manzoni, Pellico et Niccolini, qui vinrent immédiatement après eux, s’écartèrent sagement du sentier battu. Chacun de ces poètes a son genre de mérite et son caractère propre. Pellico, l’auteur d’Esther, de Gismonda et de Francesca de Rimini, se distingue d’Alfieri plutôt par le fond que par la forme. Pellico est le poète des sentimens tendres, comme Alfieri est le poète de la colère, de la vengeance et des sentimens violens. On retrouve déjà dans l’Esther et la Francesca cet esprit de résignation humble et soumise qui éclate à chacune des pages du livre des Prisons ; sentiment de componction méritoire sans doute, mais dangereux et quelque peu dégradant, car, ainsi que l’humilité et la résignation chrétienne exagérées, il ne tend à rien moins qu’à annihiler la fierté humaine et l’indépendance de l’individu au profit de la tyrannie triomphante, en un mot, à justifier l’oppresseur aux dépens de l’opprimé. Niccolini est l’auteur de Jean de Procida, de Louis le Maure et de ce singulier drame de Nabucco, dans lequel il met en scène Napoléon sous le nom du personnage allégorique, héros de la pièce. Niccolini marque la transition de Pellico à Manzoni : la forme chez lui prend plus d’ampleur, et le détail plus d’importance ; la peinture des mœurs se substitue insensiblement à celle des caractères, et l’étude du costume et des usages à celle des passions. Manzoni, dès son début, montra plus de hardiesse encore.