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lienne en lui donnant cette nouvelle impulsion et en appelant l’attention des poètes de l’époque sur les chefs-d’œuvre du théâtre français. Nous ne partageons pas cet avis. Gigli, selon nous, ruina du même coup la nationalité du théâtre italien qui allait naître et annula son originalité. Fatigués d’imiter tour à tour Térence, Plaute, les Espagnols et les grands comiques du XVIe siècle, quelques écrivains[1], vers cette époque, s’essayaient en effet dans un genre de comédie qu’on eût pu appeler provinciale ; ils peignaient des ridicules locaux, et songeaient à tirer parti des données si fécondes de la comédie dell’ arte, qui, après avoir long-temps cheminé parallèlement à la comédie régulière sans jeter trop d’éclat, avait tout à coup prévalu dans les premières années du XVIIe siècle. Ce mouvement fut, sinon suspendu, du moins neutralisé ; l’imitation des pièces françaises succéda à celle des pièces latines ou espagnoles. Goldoni lui-même, si original quand il voulait l’être, aima mieux se traîner à la remorque de Molière. Il est resté à ce grand homme ce que Metastase et Apostolo Zeno sont à Racine et à Corneille. Il eût été, s’il l’eût voulu, le restaurateur de la scène italienne.

Le marquis Maffei, ce savant et spirituel Véronais, combattit cette nouvelle tendance à l’imitation dans ses comédies de la Cérémonie et de Raguet. Dans cette dernière pièce surtout, il s’efforce de ridiculiser les Italiens qui dénaturent la langue nationale en se servant à tout propos de locutions françaises. Ces comédies, élégamment dialoguées, étaient trop littéraires et partant trop froides pour avoir une influence sensible et déterminer une réaction. Au lieu de dire ce qu’il fallait faire, il eût mieux valu prêcher par l’exemple. Maffei tirait à la fois sur les Français et les Florentins. Sa comédie du Cruscante devenu fou est une bonne satire de l’académie ultra-puriste de la Crusca. La comédie italienne, vers cette époque, tomba dans le pédantisme ; Giulio Cesare Becelli, en guerroyant contre les pédans de son temps, donna dans leurs travers ; ses comédies, qui ont pour titre : I falsi litterati, I poeti comici, l’Ariostita, Il Tassista, s’attaquent à des conceptions trop raffinées pour ne pas être toujours froides. Ce sont des satires littéraires, plus ou moins dramatisées et qui prêtent peu à rire. Molière seul a su être amusant en combattant des travers et des affectations du même genre, lui seul a pu faire les Précieuses ridicules.

  1. Giulio Cesari Cortèse, 1630 ; Gio-Batista Fagioli, Florentin ; Pasquale Cirillo, Napolitain.