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vie demain matin. — Ne craignez rien, ma fille, reprend frère Timothée ; je prierai Dieu pour vous, et je dirai l’oraison de l’ange Raphaël pour qu’il vous tienne compagnie. — Dieu et la Madone me soient en aide ! ils savent si j’ai intention de mal faire !

Cette pudeur et cette simplicité de Lucrèce donnent un grand charme à la gracieuse figure de cette jeune femme, complice malgré elle des ruses de son amant.

Les monologues du frère Timothée ne sont pas moins hardis que le reste de la pièce ; c’est là cependant que se trouve la moralité du drame. Écoutons plutôt les réflexions qu’il fait lorsqu’il se trouve la nuit, hors de son couvent, travesti et prêt à venir en aide aux projets d’un jeune débauché : « Ceux qui disent que la fréquentation de la mauvaise société peut conduire un homme à la potence ont bien raison ; il arrive également malheur à celui qui est trop bon et trop facile et à celui qui est vraiment méchant. Dieu sait si je pensais à nuire à personne. Je me tenais tranquille dans ma cellule, je disais mes offices, je soignais mes bonnes dévotes. Ce diable de Ligurio m’est venu prendre ; il m’a fait mettre un doigt dans l’erreur ; le bras s’y est bientôt trouvé pris en entier, et maintenant voilà toute ma personne engagée. Je ne sais trop vraiment où cela pourra me mener. »

Le monologue qui commence le cinquième acte est également curieux ; il fallait que le pouvoir ecclésiastique fût alors bien fort et eût en même temps une singulière confiance dans cette force, pour tolérer de pareilles plaisanteries, et, qui plus est, pour en rire.

Cette extrême liberté, pour ne pas dire cette licence, que la comédie s’était acquise tout d’abord, elle la conserva jusqu’à la fin du dernier siècle, et les comédies de Machiavel, du Bibbiena et de l’Arioste servirent de poétiques et de modèles aux écrivains des âges suivans. Plaute et Térence furent également imités on copiés ; seulement les personnages des poètes latins changeaient d’habits et de condition. Le Cerchi, par exemple, remplaçait sans façon par deux sœurs grises qui parlaient de leur habit, de leur couvent, et disaient leur chapelet, les deux courtisanes qui mènent l’intrigue de la Cistellaria de Plaute. Le sujet de la plupart de ces pièces est toujours quelque bon tour joué à un avare, à un mari jaloux ou à quelque vieux docteur. Les déguisemens ridicules que les personnages revêtent, et les coffres au fond desquels ils se cachent tour à tour, sont à peu près les seuls ressorts dramatiques à l’aide desquels l’action marche et se débrouille. Il semble par instant que tous ces personnages jouent entre eux à la cligne-musette, l’intérêt roulant, la plupart du temps, sur la chance