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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

produits par cette ressemblance si fréquens, que l’analyse, à moins d’être fort développée, en serait incompréhensible. Ces quiproquo sont toujours amenés par les déguisemens de Santilla, la jeune fille, en homme, et de Lidio, son frère, en femme ; ils sont des plus hasardés, et, quoique conduite avec art, l’intrigue, trop compliquée, finit par amener l’ennui. Disons-le, la Calandria, si souvent citée par les critiques italiens, et que les Florentins tiennent encore aujourd’hui en si haute estime, n’a dû ce long succès qu’à la finesse et à l’esprit du dialogue, et surtout à la perfection de la forme, que le parti toscan proclame excellente et met sur la même ligne que le style des nouvelles de Boccace et des comédies de l’Arioste et de Machiavel.

Machiavel ! ce nom ne rappelle d’abord que de graves et sombres idées, et cependant ce terrible politique est l’auteur de la plus vive, de la plus leste et de la meilleure des comédies italiennes. La Mandragore, en effet, est supérieure à la Calandria. Le sujet est plus intéressant, l’intrigue plus simple et mieux conduite, et le dialogue aussi vif. La Mandragore et la Calandria sont en quelque sorte les origines de la comédie italienne. C’est dans la Mandragore surtout qu’on retrouve le type de cette manière rapide, compliquée, dégagée de scrupule, de pudeur même, qui a prévalu pendant deux siècles ; il est donc nécessaire de jeter un coup d’œil sur l’œuvre de Machiavel, pour arriver à la parfaite intelligence des révolutions du théâtre en Italie.

Le sujet de la Mandragore est bien connu. Chacun sait l’histoire de messer Nicia Calfucci, ce bourgeois de Florence, que tourmentait un si violent désir de paternité ; chacun sait comment son ami Callimaque, amoureux de Monna Lucrèce, sa femme, ne pouvant triompher de la vertu de la dévote Florentine,

Ne savait plus à quel saint se vouer,
Quand le mari, par sa sottise extrême,
Lui fit juger qu’il n’était stratagème
Où le pauvre homme à la fin ne donnât.

Chacun sait encore comment Callimaque, médecin par occasion, proposa à son ami une recette qui devait infailliblement le rendre père.

Cette recette est une médecine
Faite du jus de certaine racine
Ayant pour nom mandragore…

Mais ce jus a des qualités très malignes ; il fait mourir le premier qui partage la couche de celle qu’il doit rendre mère.