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ont autant de langue qu’ils ont peu de cœur. Or ça, messieurs les poltrons, je pense qu’il ne serait pas hors de propos de vous administrer quelques remèdes pour prévenir les suites de la peur que vous vous êtes faite les uns aux autres. Ces remèdes, les voici : on va défoncer sous le vestibule un baril de vin, on vous apportera deux grands poulets d’Inde et un gros jambon, vous mangerez et vous boirez à discrétion, et, quand vous serez bien repus, la Nicolosa, la Brunetta, la Tancia, la Tina, et toutes ces drôlesses qui jouent si bien de l’escarpin, vont arriver en gambadant, et alors vive la danse et vive la joie ! Meneghino sera content de ses funérailles. Arlequin, Pantalon et Brighella, que ces dernières paroles ont tout à la fois rassurés et reconfortés, remercient le comte Ambrogio, et tous trois chantent en chœur des couplets d’une expression et d’une harmonie admirablement bouffonnes.

Si nous avons analysé cette bagatelle avec quelque détail, c’est que chez nous ce genre de comédie n’a pas d’analogue. Ce n’est, à proprement parler, ni de la comédie, ni du vaudeville, ni de l’opéra bouffe. Ce sont des parades pleines de caprices, écrites souvent en vers charmans, et mêlées parfois de danses et de chants. C’est un genre tout-à-fait italien, comme le fut autrefois la comédie pastorale, si complètement abandonnée de nos jours ; genre que l’on fait remonter à l’Anfiparnasso, d’Orazio Vecchi, qui fut représentée vers 1595. Dans cette comédie mêlée de musique, Pantalon, Arlequin, Brighella, et le capitan Cardon, matamore espagnol, jouent déjà chacun leur rôle. Ces personnages parlent castillan, italien, bolonais, bergamasque et même hébreu. Si ces joyeux masques ont survécu aux Myrtils, aux Tircis et aux Sylvio de la comédie pastorale, c’est à leur belle humeur inaltérable et à leur robuste gaieté qu’ils doivent leur existence prolongée. Ces joyeux boute-en-train ont une constitution bien autrement vigoureuse que les mélancoliques au cœur tendre. Pantalon, Arlequin et Brighella, sans être accueillis avec le même empressement qu’autrefois, n’ont donc pas encore lassé la constance du public italien, et sont encore aujourd’hui fort vivans. Quand mourront-ils ? Dieu le sait.