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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

à la seconder ; Octave achète donc du poison, et sa belle-mère se charge de le faire prendre à son mari. Elle saisit le moment où le cuisinier de la maison a le dos tourné, pour jeter le poison dans un potage destiné à l’homme prudent. Ici la farce tourne au tragique, mais la tragédie retombe aussitôt dans la farce. En effet, tandis que le potage empoisonné cuit à petit feu, la chienne favorite de Rosaure, par l’odeur alléchée, aboie aux fourneaux. Rosaure, pour régaler sa chienne, n’hésite pas à écorner le déjeuner paternel. L’animal mange quelques cuillerées de potage, tombe dans des convulsions et meurt. Tandis que Rosaure se désole, arrive son amant. C’est un Napolitain rusé qui devine sur-le-champ d’où le coup est parti, et comme il pense fort judicieusement qu’en faisant pendre Octave et Beatrice, il se débarrassera à la fois d’un beau-frère futur et d’une future belle-mère, et que l’héritage de Rosaure s’accroîtra d’autant, il va tout aussitôt dénoncer le crime à la justice. À peine est-il parti, que Pantalon, à la recherche de son déjeuner qui se fait attendre, arrive et trouve Rosaure, qui lui fait part de son agréable découverte. L’homme prudent se décide naturellement à se passer de déjeuner ; il fait plus, il jette la marmite et le potage par la fenêtre. Sur ces entrefaites, les sbires se présentent et s’emparent de Béatrice et d’Octave. Nous assistons ensuite à leur procès, et c’est alors que la générosité de l’homme prudent brille de tout son éclat. Pantalon refuse, en effet, de charger les accusés ; il fait plus, il se porte leur défenseur. Goldoni, dans cette occasion, se souvient que la veille il était avocat, et met dans la bouche de Pantalon une longue harangue pathétiquement burlesque. L’effet de la péroraison est surtout irrésistible : l’orateur, évoquant un nouveau témoignage à l’appui de l’innocence de sa femme et de son fils, fait tout à coup sortir de dessous sa robe une chienne vivante, absolument semblable à celle qui est morte du poison ; l’animal s’élance au milieu de la salle en aboyant ; le tribunal ne résiste plus à cette bruyante éloquence, il se déclare suffisamment éclairé, et absout les accusés. Pantalon triomphe, l’honneur de la famille est sauvé ; mais comme il ne s’appelle pas l’homme prudent pour rien, il se promet bien de ne jamais manger de potage le matin et de mettre toujours le dernier la main au plat.

La réussite de pareils ouvrages fait peu d’honneur au public vénitien du siècle dernier, et donne une haute idée des acteurs qui les faisaient valoir. Quelle prodigieuse dépense de verve et d’esprit ne devaient pas faire les Golinetti, les Darbes, les Sacchi, pour rendre supportables et même intéressantes les drôleries d’Arlequin, les gros-