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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE WHIG.

ans lui reprochent de sacrifier l’alliance des puissances du Nord à celle de la France, il y a d’ailleurs quelque embarras à blâmer aujourd’hui un traité si conforme à leurs vues et qui leur donne si complètement raison. Enfin, au moment d’une crise européenne, et peut-être d’une guerre avec la France, il paraît assez naturel que les chefs tories reculent devant la crainte d’agiter et de soulever l’Irlande, et hésitent à prendre le pouvoir. On peut donc croire et dire que le ministère Melbourne est aujourd’hui, sinon plus fort, du moins plus vivant qu’au commencement de juillet.

Cette opinion, je le répète, est plausible. En y regardant de près, il est pourtant facile de se convaincre qu’elle n’est pas fondée. Et d’abord j’ai l’intime conviction qu’en signant le traité de juillet, pour complaire à un de ses membres, le ministère Melbourne n’en a apprécié ni toute la portée ni toutes les conséquences, et que plus tard il s’étonnera et s’inquiétera un peu lui-même de ce qu’il a fait. Si la politique étrangère des whigs s’est distinguée de celle des tories, c’est par deux idées fort simples : l’une que les nations sont maîtresses de leurs destinées, et qu’il n’appartient point à une puissance étrangère de venir étouffer les révolutions ou prévenir les démembremens qui peuvent s’opérer dans leur sein ; l’autre, que l’Europe occidentale constitutionnelle, dont la France et l’Angleterre sont la tête, ne peut contenir dans de justes bornes l’Europe orientale absolutiste que par une union intime et persévérante. C’est en vertu de ces idées que, pendant plusieurs années, la France et l’Angleterre ont marché d’accord et maintenu la paix du monde.

Maintenant, que fait le cabinet whig ? D’un coup il brise les deux principes qui ont fait sa force et son honneur. Par une seule signature, il rompt l’alliance occidentale, et offre à un souverain vaincu le secours de ses armes pour mettre un sujet vainqueur à la raison. C’est, quoi qu’en puisse dire lord Palmerston, la politique de la sainte alliance dans toute sa pureté. Or, cette politique, quand il s’agira de la mettre à exécution, croit-on qu’elle n’inspire à des hommes comme lord Melbourne et lord John Russell, lord Holland et lord Landsdowne, aucune répugnance ? croit-on que de gaieté de cœur, et sans une longue hésitation, ils fassent ce que repousse leur vie entière, ce que si souvent, dans l’opposition ou dans le pouvoir, leur bouche a condamné et flétri ? On peut se laisser entraîner à signer un fâcheux traité, quand celui qui en est plus directement responsable affirme qu’un succès certain et facile suivra ce traité, et qu’après avoir terminé promptement et pacifiquement le dernier différend grave qui