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législative dont O’Connell est le prédicateur deviendra le mot d’ordre de six millions d’hommes et leur cri de guerre.

Ce n’est point d’ailleurs la seule difficulté qui attende le ministère tory, et il sera curieux de voir si, pour soutenir sir Robert Peel, premier ministre, les ultra-tories sauront, comme l’ont fait les radicaux, modérer leurs désirs, borner leurs prétentions, réprimer leurs passions. Ce qui se passe depuis un an autorise à en douter. Si sir Robert Peel veut que son ministère vive deux jours, il faudra pourtant que dès ses premiers pas il se sépare ouvertement des ultra-tories sur plusieurs points importans. Que diront alors sir Robert Inglis, M. Bradshaw, M. Plumptree et M. Gladstone, qui tous, comme M. de Lamennais jadis, professent que « l’état a une conscience religieuse, et qu’il ne peut, sans athéisme, concourir directement ou indirectement à la propagation de l’erreur. » Il s’agit pour eux, qu’on ne l’oublie pas, non d’opinions politiques, mais de croyances religieuses, c’est-à-dire de ce qu’il y a dans l’esprit humain de plus inébranlable et de plus exclusif. Pense-t-on que ces croyances ils les sacrifient à sir Robert Peel, ou qu’ils se contentent de les manifester de temps en temps par un débat et par un vote ? Pense-t-on même qu’ils pardonnent à ceux qui, sortis de leurs rangs, les combattraient au lieu de les seconder ?

Il reste une dernière question, la plus grave de toutes dans les circonstances actuelles. Avant la signature du traité anglo-russe, le ministère Melbourne, si je suis bien instruit, ne se faisait pas illusion sur sa situation, et sentait que sa fin approchait. Il était donc résolu, dans la session prochaine, à se retirer au premier échec ou à dissoudre la chambre, non avec l’espoir de retrouver la majorité dans les élections, mais pour s’assurer du moins une minorité respectable, et qui lui permît de tenir le cabinet en échec. Le grand évènement qui depuis est intervenu a-t-il changé cette situation, et le ministère Melbourne va-t-il puiser une nouvelle vie dans sa nouvelle politique ? C’est ce que je veux examiner en terminant.

Il y a pour l’affirmative quelques raisons plausibles que je n’entends pas dissimuler. Si l’on se reporte aux incidens de la dernière session, il est facile de voir que le ministère Melbourne périssait surtout d’impuissance et de paralysie. Il s’en manquait de huit à dix voix que ses adversaires fussent assez nombreux pour le renverser par un vote direct ; mais ils pouvaient successivement briser ou mutiler tous ses actes et toutes ses mesures. C’est donc en quelque sorte une bonne fortune pour le ministère Melbourne que d’avoir pu faire une grande chose, même mauvaise. Pour les tories, qui depuis huit