Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/699

Cette page a été validée par deux contributeurs.
695
L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE WHIG.

Dans cette situation, nul doute que l’intérêt bien entendu de sir Robert Peel et de lord Melbourne, de lord John Russell et de lord Stanley ne dût les porter à se réunir. Nul doute aussi qu’entre leurs opinions il n’y ait plus de ressemblance qu’entre celles de lord Melbourne et de M. Hume, de sir Robert Peel et de sir Robert Inglis. Mais outre que depuis trois ans bien des paroles ont été dites et bien des engagemens pris ; outre que la difficulté de concilier les positions et de fixer la prééminence, déjà fort grave alors, s’est encore aggravée, il y a une question qui suffirait à elle seule pour rendre, quant à présent du moins, tout arrangement impossible, la question de l’Irlande. Sur cette question, j’incline à le croire, sir Robert Peel ne pense pas autrement que lord John Russell, et, s’il le pouvait, il adopterait à peu près la même politique. Le peut-il toutefois quand, depuis trois ans, le parti dont il est le chef a fondé sur la conduite du ministère en Irlande presque toute son opposition ? Le peut-il quand, indépendamment de sa volonté et de ses actes, son avènement serait en Irlande même salué avec enthousiasme par le parti orangiste, accueilli avec des cris de rage par le parti irlandais ? Le peut-il, quand les préjugés qu’il n’a pas, les sentimens dont il est exempt, sont ceux de presque tous les hommes qui combattent sous sa bannière et lui donnent leur appui ? Le peut-il enfin, quand il devrait se séparer de ses amis les plus intimes, de ceux sur lesquels il compte pour entrer au pouvoir avec lui ? La réunion d’opinions long-temps ennemies est quelquefois désirable et possible, mais à condition qu’aucune n’y laisse ses convictions ou sa dignité. En gouvernant l’Irlande comme lord John Russell et d’accord avec lui, sir Robert Peel ne sacrifierait peut être pas ses convictions ; mais à coup sûr sa dignité y périrait.

On pourrait penser qu’il serait plus aisé de rapprocher des whigs lord Stanley, leur ancien ami, leur ancien collègue, auteur, comme eux, du bill de réforme, et qui, comme eux, lutta pendant deux ans contre les tories. C’est pourtant tout le contraire. Lord Stanley, dont les mœurs sévères, le noble caractère et le talent éminent sont encore rehaussés par une grande situation, appartient incontestablement à cette vieille et grande race que Shakespeare a, sous quelques rapports, personnifiée dans Hotspur, mélange curieux de passion et de ténacité, d’emportement et de persévérance. Pendant la discussion du bill de réforme, il était parmi les whigs un des plus hardis ; mais le jour où se séparant de ses anciens amis, il alla s’asseoir à côté de sir Robert Peel, lord Stanley se jeta dans la mêlée plus résolument que personne, et laissa bientôt derrière lui la prudente réserve de son nouvel allié.