Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/698

Cette page a été validée par deux contributeurs.
694
REVUE DES DEUX MONDES.

Si l’on pensait qu’aux yeux des ultra-tories ce sont là des péchés véniels, on se tromperait fort, et, pour s’en convaincre, il suffit de lire les journaux qui expriment le plus habituellement les opinions du parti. « La conduite de sir Robert Peel dans la question du privilége, imprimait en toutes lettres le Times au mois de février dernier, est faite pour exciter le chagrin et le dégoût de tout vrai conservateur… Puisque sir Robert Peel n’est pas capable de comprendre les raisons qui soulèvent l’opinion publique contre les ministres actuels, pourquoi ne pas entrer au pouvoir avec ou sans eux ? Pourquoi tromper le pays par le nom d’un opposant quand de fait on n’est plus qu’un instrument docile et égaré ? » — « Les protestans d’Irlande, disait le Morning-Herald le 10 mars dernier, à propos du bill des corporations irlandaises, viennent encore d’être trahis dans le parlement, comme tout le corps des protestans l’avait été en 1829. Sir Robert Peel et ses gardes du corps ont une seconde fois vendu leurs défenseurs… Nous ne serions pas surpris de voir sir Robert Peel, pour revenir au pouvoir, proposer lui-même de remplacer l’établissement protestant par un établissement catholique. »

Le Morning-Post est plus modéré ; néanmoins il s’en faut que la conduite des chefs tories lui paraisse sans reproche. Quant au Standard, il va plus loin que tous les autres, et il ne se passe guère de jour sans qu’il lance contre ceux qu’il nomme des traîtres et des apostats les plus furieuses invectives. Le duc de Wellington lui-même et lord Lyndhurst, parce qu’ils admettent le principe des corporations municipales en Irlande, ne sont pas purs à ses yeux. « Jamais, s’écriait-il dernièrement, le parti tory n’a été plus près d’une scission. » Et quelques jours après, dans sa colère non contre les communes mais contre les lords, qui, selon lui, désertaient aussi la sainte cause du protestantisme, il n’hésitait pas à dire que « le meilleur conservateur est celui qui déteste le plus la figure d’un lord, et que le peuple, trahi par l’aristocratie, saura bien se faire justice. »

Je ne cite pas certains journaux du dimanche bien plus ardens encore et plus injurieux ; mais on ne peut oublier que le Times, le Morning-Herald, le Standard et le Morning-Post constituent ensemble toute la presse quotidienne du parti tory. Ce parti en est donc venu à ce point que la presse presque entière est en insurrection contre ses chefs, et ce n’est pas dans la presse seulement que se manifestent de tels sentimens : c’est dans des réunions nombreuses où le nom de sir Robert Peel et de ses amis commence à être accueilli par des murmures et par des sifflets.