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ces mouvemens irrésistibles contre lesquels l’intelligence et la volonté humaines sont impuissantes ? C’est là une formidable question, une question qui laisse bien loin derrière elle l’éternelle querelle des whigs et des tories.

Quand on veut se rendre compte de l’état de l’Angleterre, il y a d’abord une considération générale qu’il ne faut jamais perdre de vue c’est qu’il n’est aucun pays que la logique gouverne si peu, et où les faits soient plus souvent en désaccord avec les idées, les actes avec les paroles. Je citerai un exemple déjà ancien, mais qui m’a toujours paru frappant et caractéristique. En 1820, au moment où quelques émeutes d’étudians mettaient en France le gouvernement en péril, un procès inoui, le procès de la reine Caroline, agitait l’Angleterre et troublait le repos public. C’était mon premier voyage dans ce pays, et quand, le jour même de mon arrivée à Londres, je rencontrai les longues processions qui se déroulaient depuis la cité jusqu’au village d’Hammersmith, résidence de la reine Caroline ; quand, sur les bannières que faisaient flotter ces processions, je lus les inscriptions les plus séditieuses et les plus violentes ; quand j’entendis retentir à mes oreilles des cris furieux et des menaces sanguinaires ; quand en même temps je remarquai, publiquement exposées dans les rues les plus fréquentées, d’outrageantes caricatures contre le roi, une entre autres, je m’en souviens, où on le montrait mort et étendu sur une brouette, avec ces mots pour légende : cat’s meat (viande pour les chats) ; quand enfin, au retour d’une de ces visites à Hammersmith, je vis une populace, ivre de fureur, démolir jusqu’à la dernière pierre la maison du New Times, journal tory, sans que les magistrats de la cité jugeassent à propos d’intervenir, je me dis que l’Angleterre était à la veille d’une révolution, et je me préparai à être témoin de terribles évènemens. Quelle fut donc ma surprise, quand je trouvai les anglais à qui j’étais recommandé, calmes et sans effroi ! « Vous êtes étonné, me dirent-ils, parce que vous ne nous connaissez pas encore. Chez nous, le peuple a, de temps immémorial, le droit de s’assembler quand il lui plaît, et d’exprimer son opinion comme il l’entend. Il le fait en ce moment d’une manière un peu bruyante, un peu brutale, mais cela n’ira pas plus loin. Quant aux bannières et aux caricatures séditieuses, personne ne les prend au sérieux. Le lion breton s’est levé, lisez-vous sur vingt de ces bannières, et vous en concluez qu’il est prêt à tout déchirer. Détrompez-vous. Après que le lion breton s’est levé, il se couche, et comme il aime son repos, il a soin, dans son propre intérêt, de ne blesser per-