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quitte Carthage pour aller à Rome, et qu’il part sans même dire adieu à sa mère, sa mère monte sur un vaisseau et le suit à Rome. Une tempête éclate ; c’est elle-même qui rassure les matelots. Une mère qui va chercher son enfant ne fait pas naufrage. Monique n’était pas seulement pour saint Augustin une sorte de bon génie et d’ange gardien, elle était son guide dans la foi et même dans la doctrine chrétienne ; car elle avait un esprit vif et ardent, capable de pénétrer dans les plus profonds mystères de la grandeur divine, si tant est que la grandeur divine ne se comprenne pas encore mieux par l’ame que par l’esprit. Souvent, dans des conversations pleines de foi et d’enthousiasme, saint Augustin et sa mère, s’échauffant et s’éclairant l’un par l’autre, s’élevaient de concert vers Dieu, comme deux anges de lumière qui s’envolent du même essor. Il est, dans les Confessions, une de ces conversations, je me trompe, une de ces méditations qu’il est impossible d’oublier, tant elle est belle et tant elle prend de solennité par son à-propos même ; car ce fut la veille de la mort de sainte Monique. Ils étaient à Ostie ; ils allaient s’embarquer pour l’Afrique. Elle ramenait son fils dans sa patrie, et elle le ramenait chrétien. Sa mission était remplie sur la terre ; elle n’avait plus qu’à jouir. Dieu, qui l’aimait, voulut que ce fût au ciel qu’elle jouît de son bonheur. « Nous étions assis près de la fenêtre, dit saint Augustin ; sous nos yeux s’étendait un jardin, au-delà, la mer, et sur le rivage les matelots qui se reposaient de la navigation. Nous étions seuls, ma mère et moi, et nous causions doucement ; oubliant le passé et plongés dans la méditation de l’avenir, nous cherchions ce qu’était cette vie immortelle des saints, que ni l’œil, ni l’oreille, ni le cœur même de l’homme ne peuvent apercevoir, et nous demandions à Dieu de nous dévoiler quelque rayon au moins de cette impérissable béatitude. Nous élevant peu à peu des douceurs de la vie des hommes pieux à la vie des bienheureux, nos pensées arrivèrent à ces hauteurs d’où la lumière descend sur la terre, et nous montions encore pour atteindre au centre de l’éternelle félicité et de l’incomparable sagesse. Pendant que nous nous entretenions, l’ame ouverte au souffle de Dieu, nous sentions nos cœurs se remplir d’une douceur ineffable. Dieu nous avait touchés d’un rayon de sa béatitude ; nous soupirâmes alors de bonheur, et l’ame encore pleine de ces prémices de la joie céleste, nous éclatâmes en ces paroles, vains sons, hélas ! qui naissaient et mouraient sur nos lèvres, misérable écho donné à l’homme pour exprimer le verbe éternel de Dieu ! — Silence, disions-nous donc, silence aux bruits de la chair, aux images de la terre et des eaux ;