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LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN.

ration ait peu coûté. Pendant long-temps encore, et tant qu’il n’a pas trouvé Dieu, le cœur de saint Augustin a saigné de la rupture. Celle surtout qui a le plus souffert, quoiqu’elle se soit le moins répandue en plaintes, c’est cette femme modeste et résignée qui part, attestant le ciel que ce sera là son dernier comme son premier amour. La religion nouvelle lui aura, je l’espère, rendu facile ce vœu de sa douleur. Dans l’antiquité, la femme que l’homme renvoyait n’avait point d’asile ; elle n’avait pas même d’état ni de nom ; la Grèce et l’Italie ne connaissaient pas, sauf leurs prêtresses et leurs vestales, de femmes qui vécussent seules, en présence de Dieu, sans joie et sans amours mondaines. C’est le mérite et la nouveauté du christianisme d’avoir fait que la femme peut vivre seule avec honneur et avec respect. En préférant la virginité au mariage, sans condamner pourtant le mariage, il a donné à la femme un rang qu’elle n’avait pas. Dans le christianisme, les femmes libres, ce sont les vierges chastes et les veuves continentes ; car c’est au prix de la plus difficile de leurs vertus que le christianisme donne aux femmes la liberté et l’indépendance, sachant bien que sans cette condition la liberté n’enfante pour elles que le malheur et le mépris.

Il y a, dans les Confessions de saint Augustin, à côté d’Adeodat et de sa mère, d’autres personnages qui, quoique moins touchans, ne sont pas moins animés et moins curieux ; je veux parler de ses deux amis, Alipius et Nebridius.

Un des plus nobles sentimens de l’homme, c’est l’amitié entre jeunes gens. À vingt ans, le cœur aime à répandre les sentimens d’amour dont il est plein ; il aime à aimer, comme le dit si bien saint Augustin. Mais à cet âge l’esprit a aussi son abondance et son ardeur ; il aime aussi à se répandre et à se communiquer. L’homme, à vingt ans, commence à voir partout autour de lui des énigmes qu’il est impatient de résoudre : ici les énigmes de l’ordre social, là les énigmes de la religion. Ce n’est pas seulement, il est vrai, dans la jeunesse que nous apercevons ces énigmes ; elles nous entourent et nous accompagnent pendant toute la vie. Mais dans la jeunesse, on n’est pas encore résigné à n’en pas savoir le mot, et ce n’est que plus tard qu’on s’habitue peu à peu à vivre dans l’obscurité. À vingt ans, qui peut supporter les ténèbres de la condition humaine ? De là à cet âge tant de naïfs efforts pour les percer, tant de méditations profondes ou creuses sur ce sujet, ou plutôt, comme la méditation répugne par son calme à la nature des jeunes gens, tant de conversations entre amis,