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LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN.

mêlée de honte. Peu de récits, et dans ces récits rien qui soit mis pour donner de l’intérêt à l’aventure : l’intérêt serait un nouveau péché. Autant Rousseau met de grace et de charme dans ses descriptions, et cela à dessein, autant saint Augustin cache avec soin les tendresses de son ame. Rousseau cherche le roman, saint Augustin l’évite et le repousse ; et cependant il semble, quand on lit les Confessions, il semble qu’à travers ces récits pleins de gravité et de repentir circule je ne sais quel roman touchant et gracieux qui se devine plus qu’il ne se voit, qui peut-être même, pour être aperçu, a besoin d’yeux profanes, pareil enfin, pour ainsi dire, à la beauté de ces femmes de l’antiquité, toujours cachées au fond du sanctuaire domestique, toujours voilées, paraissant à peine, et cependant laissant entrevoir tout ce qu’elles ont de grace et parfois même de passion.

« À cette époque, dit saint Augustin, j’avais une femme ; nous n’étions pas liés par les saints nœuds du mariage. L’ardeur insensée du plaisir avait fait cette union ; mais je lui étais fidèle, et elle me l’était ; et cependant j’ai senti quelle différence il y avait entre cette union et celle du mariage, le mariage fait en vue d’une parenté et d’une famille, tandis que dans l’union illégitime l’homme ne souhaite pas d’enfans, et pourtant il est forcé de les aimer aussitôt qu’ils sont nés. »

Qu’il me soit permis d’interrompre un instant le récit pour faire remarquer la profonde vérité des paroles de saint Augustin, et comme il caractérise d’un mot les liaisons illégitimes, ces liaisons où l’homme craint d’avoir des enfans, tellement que ce qui dans le mariage est la plus douce bénédiction du ciel, devient dans ces unions un malheur et une punition. Mais ne craignez pas que le chrétien veuille faire porter aux créatures nées de son péché la peine de son crime. L’antiquité expose les enfans, la philosophie moderne les met à l’hôpital, le christianisme les nourrit et les élève, qu’ils soient légitimes ou non, peu importe. Le jour où saint Augustin reçoit lui-même le baptême, son fils marche à ses côtés et devient chrétien avec lui. Son repentir aime cet enfant comme un perpétuel avertissement de ses faiblesses, comme un devoir né de sa faute même ; et ce devoir, qu’il lui a été doux de l’accomplir ! Combien il a chéri ce fils qu’il ne pouvait pas regarder sans s’humilier à la fois et sans s’attendrir ! Comme le père s’est retrouvé dans le chrétien ! Aussi avec quelle ferveur il l’a offert à Dieu ! Dieu a trop vite accepté l’offrande ; car il l’a retiré de cette terre qu’il avait seize ans à peine, et maintenant il ne reste plus de lui au cœur de saint Augustin qu’un souvenir plein de