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LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN.

hardi sans être cynique. Voyons un exemple ; j’ai pris à dessein les phrases les plus scabreuses :

« Ce que je voulais, ce que je souhaitais, c’était d’aimer et d’être aimé. Je ne m’arrêtais pas aux bornes de l’amitié ; mon cœur m’emportait plus loin. Il s’exhalait du fond de ma concupiscence je ne sais quels brouillards et quelles vapeurs de jeunesse qui troublaient toute mon ame, et me faisaient confondre l’aveuglement de la passion avec le pur bonheur de l’affection. C’est alors qu’il eût fallu donner le mariage pour digue au torrent de mon âge, mais mon père s’inquiétait bien plus de mon éloquence que de mes mœurs, et de mes succès de rhéteur que de ma conduite de jeune homme.

« C’est en vain que ma mère me détournait du péché, ses paroles me semblaient des paroles de femme, et je rougissais d’y obéir. Il y a plus, j’avais honte entre mes camarades d’être moins perdu qu’eux ; et comme je les entendais vanter leurs désordres, et que je les voyais d’autant plus fiers et d’autant plus applaudis qu’ils étaient plus libertins, j’avais hâte aussi de pécher, moins par plaisir encore que par vanité. Ordinairement le blâme suit le vice ; moi, pour éviter le blâme, je cherchais le vice ; et comme je voulais à tout prix m’égaler à mes camarades, je feignais les péchés mêmes que je n’avais pas faits, afin de gagner un peu de leur pernicieuse estime…

« J’arrivai à Carthage avec ces sentimens ; à peine entré dans cette ville, j’entendis partout retentir la joie des impures amours. Je n’aimais point encore, mais j’aimais à aimer. Je tombai enfin dans cet amour que je souhaitais si impatiemment. Dieu puissant ! Dieu miséricordieux ! de quel fiel ont été mêlées ces douceurs d’amour ! J’ai aimé, j’ai été aimé, j’ai joui ! Malheureux, quelles chaînes tissues de chagrins, et une fois garrotté, avec quelles verges de fer m’ont flagellé et les jalousies, et les soupçons, et les vanités, et les colères, et les ruptures ! »

Voilà ce que j’appelle la décence du style chrétien, qui n’est ni froid, ni faux, qui dit tout, sans que pourtant aucun mot puisse faire rougir la plus craintive innocence.

Et ce qu’il faut remarquer, c’est que la pudeur du style de saint Augustin ne tient pas à l’emploi de la périphrase. La périphrase est souvent plus indécente que le mot. Comme elle arrête plus long-temps l’esprit autour de l’idée, comme elle présente une sorte d’énigme à deviner et qu’elle éveille l’attention, la périphrase, loin d’être une précaution, est souvent un danger. La décence du style de saint Augustin tient à une qualité plus intime ; elle tient à la tem-