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sant, il raconte, et ce qu’il y a encore de passion dans ses récits plaisait, à leur insu, aux ames même les plus pieuses[1].

Ces livres de lecture qui se transmettaient, pour ainsi dire, de générations en générations, formaient peu à peu, dans les familles et dans la société, cet esprit grave et réfléchi qui est le ton général de la société au xviie siècle. Ils faisaient le sens commun de l’époque, sens commun qui, grace à son origine, n’était ni vulgaire ni trivial, et qui se tenait à une juste hauteur. De nos jours, au lieu de ces livres sérieux et graves, nous lisons des romans ou des pamphlets ; c’est là le fonds où nous puisons nos pensées, et de là la différence qu’il y a entre le sens commun du xviie siècle et le sens commun du xixe.

En parlant aujourd’hui des Confessions de saint Augustin, je ne dois point oublier ces différences. Les Confessions qui, aux yeux du père de Latour, étaient presqu’une lecture profane, sont aujourd’hui une lecture trop ascétique, et c’est pour en corriger la gravité que je me permets d’y mêler quelques souvenirs des Confessions de J.-J. Rousseau ; non que je me laisse aller à la ressemblance des titres. Il y a, entre le livre de saint Augustin et le livre de J.-J. Rousseau, quelle que soit la différence des temps, il y a une ressemblance plus intime, et c’est à celle-là que je m’attache.

Jean-Jacques, dans ses Confessions, n’a point craint de peindre le premier tumulte des sens, et je ne l’en blâme pas. Tout ce qui est de l’homme appartient à la littérature. Seulement Jean-Jacques, né dans un siècle de libertinage, Jean-Jacques destiné, il est vrai, à corriger son siècle, mais en l’imitant, prêche la réforme avec le style de son temps, c’est-à-dire avec un style qui manque souvent de chasteté et d’innocence. Au contraire, quand saint Augustin peint cette première insurrection des sens, j’admire la pudeur de sa parole ; et ne croyez pas que cette réserve devienne de la froideur : comme son repentir lui exagère l’idée de ses fautes plutôt qu’il ne les lui diminue, il les décrit avec une force singulière, mais avec une force qui ne coûte rien à la décence. Il est vrai sans être effronté ; il est

  1. J’ai vu quelque part que le père de Latour, dont Saint-Simon a dit qu’il excellait par l’esprit de gouvernement, et je me hâte de dire, pour qu’on ne soit pas tenté de le prendre pour un homme d’état, que cela signifie seulement que le père de Latour s’entendait admirablement à diriger les consciences ; j’ai vu quelque part que le père de Latour disait qu’il ne fallait faire lire les Confessions qu’à ceux qui revenaient au bien, et non à ceux qui ne l’avaient jamais quitté. Le mot est juste et vrai.