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et Bertin, assez érotiques, n’approchent point de ce chant de l’Adone, intitulé I Trastulli. Ce n’est pas qu’il se montre jamais violent ou emporté ; mais il se complaît dans une certaine politesse de lasciveté élégante et pour ainsi dire systématique. Professeur de sensualité, maître es-arts dans cette doctrine, il nous présente froidement, gravement, comme une sorte de philosophie mystique, avec une méthode honnête et complaisante, les derniers raffinemens d’un sybaritisme étudié. Il est plein de ménagemens pour notre modestie ; mais le nuage sévère que Virgile et sa douce pudeur répandent sur la grotte des amans ne lui appartient pas. Semblable à ces danseuses irritantes auxquelles l’hypocrisie du voile sert d’excuse et de séduction, il s’adresse à des gens habiles aux voluptés, blasés sur leur emploi, désireux de raffinemens, et qui distillent lentement le plaisir. Dix strophes suffisent à peine à Marino pour un baiser donné dans les règles. Sa volupté n’a ni fureur ni pudeur. Ce n’est ni une bacchante ni une amante. C’est une courtisane jeune, belle, habile et énervée.

Nous avons vu le Marino transmettre à la France, et le premier, ce goût espagnol-italien qui modifia toute la littérature sous Louis XIII. Nous avons vu par quel concours de circonstances dues en grande partie à l’autorité politique de l’Espagne, ce poète, dénué de bon sens, devint le maître du champ-clos littéraire. Il faut avouer aussi, pour expliquer son action et ses triomphes, que c’était un homme plein d’habileté. Les dédicaces ne lui faisaient pas faute, et dès qu’il entrevoyait une cassette prête à s’ouvrir, sa veine jaillissait, débordait et inondait le papier. Il écrivait, par exemple, pour la maréchale d’Ancre, son Tempio, dédié all’ illustrissima et eccellentissima madama la maresciala d’Ancra. Ce Temple, éloge de Henri IV, de Marie de Médicis, de la France, et de tout ce qui peut lui être utile, a cent quatre-vingt-dix-sept strophes de six vers chacune, strophes qui murmurent comme un ruisseau de parfums nauséabonds roulant avec une misérable et monotone fluidité. Il connaît les femmes ; il sait que les reines sont femmes ; aussi couronne-t-il ce temple par cent soixante-deux vers, qui contiennent tous les détails dont j’ai parlé sur les bellezze corporali della reina. L’introduction ou portique du même poème est une lettre à la maréchale d’Ancre, soleil de vertu, pôle de sagesse, et une multitude de choses semblables. Quant aux beautés de la reine, il n’en oublie pas une :

Della chiama sottil la massa bionda ;