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LE MARINO.

Mercure. Il est impossible de déployer une versification plus souple, une plus étonnante dextérité d’artiste, une plus grande fécondité de ressources. Les règles du jeu sont exposées nettement. Vous suivez la partie entière ; vous la jouerez au club quand vous voudrez. Mercure triche ; Vénus s’en aperçoit ; une suivante a secondé Mercure dans sa ruse, Vénus lui jette le damier à la tête, elle meurt sur le coup, et reste métamorphosée en tortue ; tout cela remplit cinq cents vers merveilleusement tournés. Le poète, adoptant le premier sujet venu, attendait du hasard son inspiration passagère. La source poétique ne jaillissait, chez lui, ni des profondeurs de l’émotion, comme chez le Tasse, ni de la vive perception des féeries de la nature, comme chez l’Arioste. Marino eût rimé une séance de notre chambre des députés. Ainsi le néant de l’ame se reproduit dans le néant des œuvres. Quoi que l’on dise, le talent ne suffit pas. Il est dominé par une inspiration plus élevée, et c’est une étude d’un profond intérêt, d’une sérieuse grandeur, que celle des littératures qui avortent, et que le talent même ne peut plus féconder, quand l’énergie morale a péri.

Voyez un peu à quels dangers la France eût été exposée, si le génie de son peuple n’eût porté en lui-même le contre-poison d’un bon sens ironique et d’un jugement exquis. Sa souplesse naturelle et sa mobilité invincible l’entraînaient vers l’imitation. Son éducation première, il l’avait reçue de Rome dégénérée ; ses bégaiemens s’étaient modelés sur les accens mesquins ou prétentieux d’Ausone et de Sidoine Apollinaire. Il avait ensuite traversé les détestables écoles du pédantisme scolastique pendant le moyen-âge et de l’allégorie froide au XVe siècle. Son idiome n’était après tout qu’un jargon romain, plus rauque vers le nord, plus suave vers le midi. Il n’apportait pas au monde cette énergie primitive, cette sève natale et intime, cette nouveauté féconde, ce caractère essentiellement propre et original que la nationalité teutonique devait à sa position, toujours isolée du monde romain. Il n’avait pas reçu non plus, comme le génie italien, la tradition directe et l’héritage immédiat de la langue et du génie antiques. Enfin, après avoir recueilli le misérable legs de la décrépitude romaine, il subissait l’influence de la moderne décadence italienne et de la littérature espagnole dégénérée. Cet amas de mauvaises leçons et de mauvais exemples tombait sur la nation la plus souple, la plus active, la plus apte à l’imitation, la plus amoureuse de changemens. Un facile et naïf attrait l’emportait tour à tour vers ces vices nouveaux, d’autant plus séduisans pour elle, qu’elle n’avait